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Jean claqua la porte en ronchonnant.

 

" C 'était toujours pareil! Il fallait toujours qu' elle lui tombe dessus et qu' elle défende cet imbécile! Au prétexte de quoi ? Parce qu' il avait 11 ans et lui presque 17 ?

Il n' empêche que son frère en profitait et qu' elle n' y voyait que du feu...ça le rendait dingue, ça ! Il préférait encore sortir faire un tour dans le jardin plutôt que de s' énerver pour rien !

Où est -ce qu' elles étaient ces "fichues" cigarettes ?

Au moins, d' en fumer une, ça le calmerait, contrairement à ce qu' elle lui rabâchait sans cesse. 

Il était tout de même capable de se rendre compte si ça le calmait ou non !

Fallait toujours qu' elle croit avoir raison; soit-disant parce qu' elle était infirmière ! Ce que ça pouvait l' agacer ! 

Qu' est-ce qu' elle avait fait, elle, avant, quand elle était jeune ? Elle avait fumé!

Alors, qu' elle le laisse en paix, maintenant! C' est pas parce qu' elle s' était arrêtée que tout le monde devait le faire ! "

 

Tout à ses pensées quelques peu rageuses, Jean se dirigeait vers un coin du jardin à l' abri des regards de la maison.

Il aimait bien se retrouver là. C' était son coin. Juste derrière le gros buisson touffu, tout au fond. Non seulement, il ne pouvait plus être vu, mais lui-même se sentait protégé de la maison et du "gnangnan" de sa vie quotidienne.

Ici, c' était son monde. Il le vivait comme il voulait.

Il ne distinguait plus que ce buisson feuillu d' un côté, et de l' autre, à 5 ou 6 mètres, l' orée d' un petit bois, celui du voisin. Personne ne venait jamais de ce côté-là.

Par ailleurs, son frère savait qu' il n' avait pas intérêt à l' enquiquiner jusqu' ici et sa mère respectait ce lieu, pour lui, intime.

Là, au moins, il était bien et il pouvait fumer ses cigarettes en paix, savourant chaque bouffée et laissant son esprit vagabonder.

Il avait arrangé une sorte de petit banc en pierre sur lequel il s' asseyait et, parfois même, s' allongeait.

De temps en temps, la nuit, il se retrouvait là pour regarder les étoiles, "pour se perdre les yeux" au milieu de leurs milliers de petits points lumineux. Il espérait toujours voir quelque chose d' insolite, quelque chose dont la forme ou le mouvement lui aurait assuré qu' ils n' étaient pas les seuls à peupler une planète. Qu' ils n' étaient pas les seuls à réfléchir comme des "cons"....

Il espérait...mais rien ne venait.

 

Jean était en train de tirer sur sa cigarette quand, penchant un peu trop la tête, il reçu la fumée "nicotinée" en plein dans les yeux . Une sensation de brûlure cuisante, brève, mais intense, l' obligea à les fermer un instant.

Il se frottait les paupières par réflexe, pensant se soulager, lorsqu' il sentit un étrange souffle froid s' enrouler autour de son cou. Comme un serpent qui se coule, qui se love. Surpris, il suspendit son geste; l' air glacé, lui, continua "sinueusement" son chemin, remontant vers son visage et finit par envelopper toute sa tête.

Jean était à présent totalement pétrifié. Il n' avait jamais rien ressenti de tel. Il avait gardé les yeux fermés et, à cet instant, ne les aurait ouvert pour rien au monde.

Il avait trop peur. Il se sentait incapable de crier.

Il pensait vite, à toute allure... à sa mère, à son frère....

 

" S' inquiéteraient-ils et viendraient-ils quand trop de temps aurait passé ?

Ou mourrait-il comme une bête abandonnée aux hyènes et aux chacals ?

Que devait-il faire? Ouvrir les yeux ? S' enfuir ? "

 

Il ne bougea pas d' un pouce.

La cigarette qu' il n' avait pas lâchée et qui continuait à se consumer, lui brûla tout à coup le bout des doigts. La douleur lui fit ouvrir les yeux, sans lui laisser le temps de réfléchir, et il secoua la main pour se débarrasser du mégot brûlant. Toute sensation d' air froid autour de son cou avait disparu, comme par enchantement.

Par contre, devant lui, devant le petit banc de pierre sur lequel il était assis, à sa grande stupéfaction, se dressait une porte....

Enfin, quelque chose qui ressemblait à une porte.

 

Cette Chose-Porte était assez haute et avait les contours flous, comme si elle tremblait, comme si elle vivait; elle était, par ailleurs, quasiment transparente. On la distinguait, en fait, car elle était là, au milieu du paysage, discrètement et sans avoir de véritable consistance; mais bien présente comme un objet insolite dans un tableau de Maître.

Ce que l' on voyait à l' intérieur, ce qui, en fait, était de l' autre côté d' elle, paraissait déformé, éclairé, rajeuni, embelli, différent tout en étant identique...

Jean n' aurait pas su l' exprimer plus exactement.

Une douce chanson mélodieuse s' en échappait par volutes, c' était incroyable !

Il restait là, face à la Chose-Porte, en admiration totale devant le phénomène et complètement subjugué par le son pur, quasiment magique, qui l' ensorcelait.

Il se sentait attiré, aspiré, irrémédiablement mais harmonieusement happé par le son de ce chant comme s' il se dispersait en lui, comme s' il devenait notes de musique dansant sur une portée.

Jean ne s' était, de mémoire, jamais senti aussi heureux; il était dans un état de plénitude totale. Il se laissait guider par cette étrange partition, composée de cette unique portée, semblant s' étendre à l' infini. Il volait, tournoyait dans les airs, réalisait les figures les plus excentriques, les plus compliquées, sans la moindre difficulté, sans la plus petite inquiétude et sans se poser de questions....

Il se dirigeait néanmoins, sans le moindre doute, vers la Chose-Porte, qui, au moment où il l'approcha, où il commença à l' effleurer - sans s' en rendre compte, tout à ses sensations inconnues qu' il expérimentait - s' arrêta de trembler un instant sur ses bords, pour s' aspirer sur elle-même, en son centre, tel un typhon.

Il fut alors royalement absorbé, avalé, englouti dans et par ce tourbillon "portal"; on aurait pu observer un de ses pieds virevoltant un instant encore, tel une drôle et curieuse marionnette, si "on" avait effectivement été là pour le voir.

 

Quelques minutes plus tard, Jean avait entièrement disparu.

Devant le petit banc de pierre, il restait un mégot de cigarette encore chaud, et, un peu plus loin, une fleur éclatante aux couleurs chatoyantes qui se dressait fièrement à l' endroit même où était apparue la Chose-Porte.

Si "on" avait été là pour l' entendre, il se serait agenouillé au plus près de la fleur, aurait collé son oreille tout contre ses pétales d' une douceur inégalée, pour pouvoir l' écouter murmurer, pour l' écouter lui raconter....

Mais "on" n' était là ni pour voir ni pour entendre.

 

Jean, de son côté, n' avait absolument pas souffert de l' absorption "typhonique". A vrai dire, il ne s' était rendu compte de rien. Il était là, béat, sur sa portée, au milieu des notes, et riait avec elle. Il apportait un son plus grave aux consonances cristallines qu' elles produisaient.

Il était heureux et s' émerveillait de leur beauté, de leur clarté, de leur volupté. Elle ne parlaient pas mais il les comprenaient....

Lui même ne parlait pas non plus, du reste. Il riait, exprimait, inventait le nectar de la musique avec elles.

Un air de bonheur, un souffle magique qui n' avait de froid que la fraîcheur juvénile de sa composition.

Et cette odeur!

Il avait l' impression de baigner dans des essences de mandarine, de lavande, d' Ylang-Ylang....c' était tout simplement divin.

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