Arraché subitement à mon environnement empli de fraîcheur, ma tranquillité prend à nouveau fin. Le même rituel, encore et encore, je le sais, va recommencer jusqu’à plus soif. Et dans les heures qui suivent, je subirai leurs desideratas inlassablement, jusqu’au bout de la nuit.
Voilà, je vous l’avais dit, les hostilités ont recommencé ! De leurs mains plus ou moins propres, ils me tripotent, me font glisser entre leurs doigts impatients, sans la moindre considération. Cul par-dessus tête, je garde l’esprit clair, y parviens tant bien que mal puis me laisse aller. Me ressaisir, contrôler la situation. Oui, il le faut ! Difficile pourtant lorsqu’on baigne parmi ses congénères dans un alcool plus ou moins douteux. Mais, je dois encore résister. Je ne peux finir ainsi, dans de pauvres tord-boyaux. Je vaux bien mieux que ça ! Lutter contre les effluves qui m’absorbent inexorablement. C’est là ma seule planche de salut. Je continue mon combat pour la vie et garde la tête hors des émanations alcoolisées. Mais un faux pas et je bois la tasse. Pris de panique, je me sens rétrécir. Non, je ne veux pas mourir ! Je les entends. Je les sens. Ils sont si près. Leurs bouches me sucent. Elles m’engloutissent et m’aspirent. De leurs langues râpeuses, ils me tournent et retournent dans tous les sens. C’est infernal. Je n’en peux plus ! C’est le trou noir. Happé par les flots, j’entends les dernières élucubrations de mes hôtes imbibés jusqu’à la mœlle. Je tente un ultime sursaut. En vain. Je fonds dans l’indifférence générale.
Le rideau est tiré. La fête est finie. Tous sont partis dessouler. La maison est vide. Le calme est revenu. Mes propriétaires, Jen et Phil sont vannés. Après avoir refermé le lave-vaisselle, Jen effectue un dernier geste et laisse couler l’eau fraîche du robinet de la cuisine. Elle me replace délicatement dans mon compartiment et referme la porte du congélateur.
Oui, je le savais. Il est impossible qu’elle m’oublie. Elle m’aime toujours. Grâce à elle, je peux enfin savourer un moment de détente. Encastré dans mon compartiment, je suis bien, là, à ma place. La température est idéale. Les bruits de vaisselles et de discussions ont cessé. Je peux enfin profiter de cette douce accalmie. Tout est calme, gelé. Le rêve ! Je peux renaître de mes cendres jusqu’aux prochaines réjouissances …