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Regardez-moi ; comme j'ai fière allure. J'ai la peau bien tendue. Mes bras son droits comme des I. Je suis plein, complètement plein. Ahhh, ça fait du bien. J'étais resté trop longtemps tout serré avec les autres. On pouvait à peine voir la lumière par les plis.

 

Et puis quelle chance ; j'ai été pris par une grosse paire de mains bien fortes. Du coup, je me balance avec une douce régularité, sans me heurter aux jambes à chaque pas. En plus, elles sont bien potelées ne me cisaillent pas la anse, quelle aisance !

 

J'en ai vu partir avec des maigrelettes, saisis avec brutalité, coups d'ongles, coups de genoux. L'horreur. Ils disent qu'ils vont nous monter une association pour nous protéger ; la SPSP, Société Protectrice des Sacs Plastiques. Il serait plus que temps.

 

Enfin, je ne devrais pas me plaindre. Je suis tombé sur deux perles. Les voilà qui me déchargent, et avec quelle délicatesse. Elles me tiennent sur le côté pour ne pas m'abîmer en enlevant les commissions.

 

Qu'est ce qu'il sentait bon ce melon. Et ce camembert... "Non, non, laissez le s'il vous plait. Je vous le protège." Zut, elles ne m'ont pas entendu. D'ailleurs elles m'ont fait un peu mal en me dépossédant de force. Allez, ce n'est pas grave, j'ai gardé un peu de son odeur là où il était appuyé.

 

Mais que m'arrive-t-il ? Ah, que c'est bon ! Elles me lissent du plat de la main. Leurs paumes réchauffent mes macromolécules. Quelle douceur. Ca me rappelle mon enfance.

 

Au début, je ne devais être qu'une petite particule parmi des millions d'autres, un granule dans un gros paquet. J'avais senti que ça remuait pas mal, puis j'ai suivi un conduit chaud. La température grimpait, la pression aussi. C'était si bon que j'en ai fondu de plaisir. Et dans un grand jet, je me suis vu propulsé droit dans la matrice et un énorme pilon m'y a aplati. C'était fort, c'était brûlant. J'en polymérise encore de plaisir. Mais bon, cric crac, l'affaire est dans le sac, une seconde après, j'étais soudé, plié, rangé, empaqueté au fond d'un carton, avec mes frères de lé.

 

En parlant de pliage, m'y voici de nouveau. Il fait noir, mais ça aurait pu être pire. Au moins il ne fait pas froid, je n'ai presque pas pris une ride et je suis bien rangé sous un évier,  avec les collègues.

 

- Salut les gars. Ca fait longtemps que vous êtes là-dedans ?

 

- Moi ça fait bien trois mois. Mais ne t'y fie pas. Ici c'est une pile Last-In-First-Out. Dernier rentré, premier sorti, si tu préfères. Logiquement, tu reverras le jour avant moi. Ce n'est pas juste, mais c'est logique paraîtrait-il. Enfin pour ce que j'en sais de la logique moi ; je suis en polypropylène, pas polytechnicien… ahahhahaha.

 

C'est bien ma veine, je suis tombé sur un comique. Dans cinq secondes, il va me sortir qu'il n'a pas de jambes et qu'il est cul-de-sac. Vivement qu'on me sorte d'ici, sinon ça va sentir le PVC brûlé.

 

Il y a un dieu pour les sacs, je retrouve enfin mes grosses mains douces et chaudes. "Allez, caressez moi s'il vous plait, je suis encore un peu fripé là". Oh oui, mais... elles m'embrassent ? Mieux, elles me gonflent. Ahhh, ce souffle tiède, cette humidité. Je suis tout tendu. Quel pied !

 

Quoi, c'est tout ? Hé, mais ça pue là-dedans et il fait froid et c'est tout noir. Rallumez s'il vous plait... Merci. Mais c'est quoi cette merde, que voulez-vous que je fasse d'une vieille carcasse de poulet, je n'ai pas d'estomac moi, je ne peux rien digérer ; je ne suis même pas biodégradable, alors les os, ça ne m'emballe pas. En plus, c'est tout gluant, ça me colle aux plis. Et allez... les épluchures de patate maintenant.

 

Quelle horreur, je vais finir ma vie en poubelle. Comme si je n'avais pas assez souffert comme ça. Et quelle infection, j'ai même droit aux couches du gosse. C'est abject, elles ne sont même pas correctement refermées. Je crois que je vais vomir. D'ailleurs, j'en ai ras la gueule.

 

C'est sûr, avec un noeud comme ça à la gorge, je ne risque plus de rendre, ne serait-ce qu'une goutte de ce jus immonde qui s'est accumulé dans le fond. Je n'en peux plus, je ne sens plus mes bras, c'est trop injuste. En plus, mes bonnes mains sont devenues brutales et violentes. Plus une caresse, et je ne parle même pas de ce baiser dont je rêve encore. Je croyais qu'elles m'aimaient, mais en fait, je ne suis qu'un pauvre sac parmi tant d'autres ; utilisé puis jeté. J'en ai la liaison coeurvalente brisée.

 

Dire que je me froissais de la brutalité de mes mains. Il faut voir celles là. Elles ont beau être gantées, elles ne m'ont pas pris avec douceur, loin de là. J'ai failli me déchirer, tellement elles m'ont jeté fort. Avec ce que j'ai dans le bide, ça n'aurait pas été beau à voir. Et je ne vous parle pas de l'odeur, ça commence à se digérer tout seul là-dedans. Heureusement, j'ai atterri sur quelque chose de mou. Mais c'est quoi cette horreur ?

 

Me voilà sur un tas d'immondices. C'est affreux, tout autour de moi il y a des cadavres de collègues défoncés, en lambeaux. Quel monstre hideux a-t-il pu s'acharner avec autant de violence sur ces petits sacs innocents ?

 

Ah, je le vois, je vois ses mâchoires. Elles sont immenses. Je suis en train de me faire croquer par un camion-benne. C'est horrible, son hurlement métallique me glace la colonne poly-carbonée.

 

A l'aide, ne me jetez pas, je ne suis pas biodégradable, d'accord, mais je suis recyclable !

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