Voilà, c'est encore arrivé. Pourquoi faut-il toujours qu'il soit là ?
Depuis qu'elle est sortie de ce cabinet, perturbée, il ne fait que la parasiter.
Six ans que cela dure, six ans à ne savoir qu'en faire. Le garder, s'en débarrasser, elle ne peut se décider. Il a d'abord fallu accepter cette nouvelle situation. Elle n'a pourtant rien demandé, lui non plus d'ailleurs, au dire de ses amies. Il faut donc faire avec la déformation, l'embonpoint, le reflet du miroir qui ne vous ressemble plus, qui se moque de votre état en faisant ressortir cette protubérance. Des mois à se traîner et s'affaiblir. Un long calvaire solitaire, résultat d'une de ses longues soirées de beuverie. La famille ne vous comprend pas et vous repousse quand vous prétendez vouloir vous en séparer.
Un jour, le voilà, suintant sur votre sein, petite chose visqueuse et abjecte qu'il suffirait d'oublier au bain. Mais on ne s'y résigne pas, on subit sa présence, son approche, ses besoins. La vie est encore plus dure car il faut entretenir cette fausse réplique de soi-même. On apprend à faire semblant pour habiller les relations communautaires, mais une fois seule…
« Lâche-moi, gangrène. Tu emprisonnes ma liberté par ta dépendance. Je te refoule comme je peux, tantôt de la main, tantôt du pied. Ma vie se traîne, les mois filent, les années s'évaporent, mais tu es toujours là, collé comme une sangsue, englué comme une tumeur externe qui me pourrit la vie. Heureusement que l'alcool est là pour me permettre de t'oublier. Sale carcasse, réminiscence de mes erreurs. Cette fois, tu ne l'as pas volé. Dix fois, cent fois, mille fois je t'ai dit de me foutre la paix. Mais non, c'est plus fort que toi, faut que tu reviennes, comme un mauvais écho. Combien de temps encore devrais-je te supporter ? Pourquoi t'accroches-tu malgré tout ? Pourquoi ? »
Grace est affalée dans son canapé, éructant ces mots à la porte de la chambre de cette pièce sombre et malodorante où elle vient de jeter son fils.