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Mon ange,

 

        Pourrais-tu croire que je te néglige? C'est vrai, je ne te fais pas souvent signe et tu aurais tout lieu de me croire ingrate. Tu sais, ici sur la Terre, on s'agite beaucoup, on s'étourdit, on oublie peut-être l'essentiel mais vois-tu, il faut bien vivre! J'aurais bien envie de dire que tu ne sais pas ce que c'est, mais pourtant si, depuis un demi-siècle que tu me regardes et que tu me protèges!

Et comme j'ai l'intention de vivre encore longtemps, ce n'est pas demain que tu pourras t'offrir des vacances et retourner te reposer au Paradis!

 

        Tu sais, j'ai ta photo! Elle était au mur de ma classe de maternelle et je l'ai toujours gardée dans mon coeur. Tu étais derrière moi, tes grandes ailes blanches déployées pour me protéger. J'avais peur de m'engager sur ce pont de bois ruiné, sans parapet, toute seule. Je me sentais si petite, sans une main pour me tenir. Ce pont, il fallait le franchir. Avancer. Avec quel courage? Quelle expérience? Tout autour, les montagnes si hautes. Tout au fond, le torrent si terrible. Faire marche arrière?  Interdit. Défendu. C'est ainsi sur ce chemin.

 

        Tu ne m'as pas poussée. Tu ne m'as rien dit, tu ne t'es même pas montré: la discrétion fait partie de ton éducation. Mais ta tendresse, c'est ta force, j'ai dû la ressentir quand même pour oser aller de l'avant et m'engager sur ce pont, puis sur d'autres encore plus frêles, sur des mers en tempête, sur des fleuves violents. Car toujours tu étais là, attentif, et tu as dû me sauver plus d'une fois d'une mort prématurée.

 

        Je me souviens de cet accès de fièvre mystérieux, tout enfant. Tu étais là pour rafraîchir mon front et me sourire dans mon délire. Et cette fois où la foudre s'est abattue à côté de moi? C'est ton bras qui l'a détournée sur cette souche, elle aurait dû me frapper. Te rappelles-tu cette priorité que, distraite, je refusais à un automobiliste pressé, il y a dix ans? Tu as appuyé avant moi sur la pédale de frein, nous avons évité le pire. Et puis, n'était-ce pas toi aussi qui m'accompagnais dans mes sorties de jeune fille, qui attirais sur moi l'attention des garçons que j'avais timidement remarqués? A l'époque, on n'était pas effronté, et je n'aurais jamais osé les aborder la première! Tu as dû faire un tri sévère parmi eux, et t'assurer de la bonne moralité de celui qui allait m'épouser!

 

        Et ce n'est pas fini. Avec l'âge, je deviendrai de plus en plus distraite, un peu dure d'oreille, je marcherai avec une canne et je peinerai dans l'escalier. Tu auras fort à faire pour me rappeler le nom de la copine de mon dernier petit-fils, l'heure à laquelle j'ai glissé le rôti au four ou si j'ai déjà téléphoné aujourd'hui à mon ami Robert. Il faudra que tu étendes bien tes ailes pour que, en agrippant la rampe, je puisse monter quelques marches sans vaciller. Et, s'il te plaît, tu prêteras une oreille patiente à mes radotages...

 

        Tu vois, tu n'es pas au bout de tes peines. Mais aujourd'hui que j'ai encore toute ma tête, je veux déjà te dire merci. Sans toi, je serais restée sur le bord du chemin, vide de courage. Et quand j'arriverai au bout de ma route, je sais que tu seras là pour m'aider à franchir le dernier pont, celui qui se perd dans la brume. Tu me feras voir la lumière qui la perce et, si j'ai trop peur, tu me prendras dans tes grandes ailes blanches pour m'aider à le franchir.

 

Tag(s) : #Textes des auteurs
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