Cher Maître,
Vous qui êtes toujours à la recherche de nobles causes à défendre, afin de faire progresser l’ignare humanité tout en démontrant l’excellence de votre pensée, surtout devant les caméras de télévision, si beau avec votre profil Camille démoulinesque et votre chemise immaculée romantiquement dégrafée au vent, j’espère que vous voudrez bien prendre connaissance des quelques lignes ci-dessous.
Après avoir vécu égoïstement depuis ma naissance, je fus soudain traversée d’envies fulgurantes d’abnégation et de dévouement sans bornes envers mes concitoyens.
L’illumination m’advint à la lecture des "Pensées frappées au coin du bon sens" de l’illustre philosophe populaire et néanmoins comique Francis Blanche.
Pourquoi frapper des pensées, me dis-je, fut-ce au coin de bon sens (dont on se demande bien dans quel quartier on le trouve celui-là, mais passons), la cause m’apparut toute nue comme la vérité sortant du puits. Notre époque est cruelle, les gens, tels des brutes faisant aux autres, aux animaux, aux choses mêmes ce qu’ils ne voudraient pas qu’on leur fasse. En toute impunité, en tapinois, en catimini, ils affublent les mots des pensées horribles qui se précipitent en masses dans leurs cerveaux biscornus. Et on voudrait que la civilisation progresse, que la concorde règne dans un monde de paix et de raison.
Voilà l’apostolat auquel je consacrerai ma vie, désormais.
La tâche est immense, nettoyer les écuries d’Augias semble plus facile que de rendre au langage sa pureté afin que, débarrassé de comparaisons insanes, il permette aux jeunes âmes enthousiastes de gravir sans peur et sans illusions prévaricatrices les chemins de la vie.
J'ai accepté la mission. Je suis désormais la pourfendeuse des injustices langagières.
Voici dans un premier temps la liste des tâches que le cher Francis m’a inspirée :
- Réconcilier les œufs brouillés, amnistier les portes condamnées, faire beurrer les hommes sandwichs (et même des 2 côtés pour qu’on n’aille pas subrepticement se servir d’eux pour expérimenter la loi de Murphy), apprendre enfin aux chandelles à se moucher, comme le nécessite une parfaite hygiène, retrouver enfin l’escalier dérobé et le pain perdu, rendre sa candeur au cercle qui n’est pas plus vicieux que vous et moi (encore que vous, je ne sais pas).
Libérer les objets de la folie des hommes c’est une chose, mais il reste les animaux qui ne sont pas mieux lotis et avec qui nous en prenons à notre aise en satisfaisant souvent notre sadique instinct de supériorité et notre goût du pouvoir :
- Noyer le poisson (bien sûr innocent),
- Faire entrer les éléphants dans les magasins de porcelaine, en les arrachant à leur savane natale, tout ça pour se gausser de leur maladresse, alors qu’une éléphante est très adroite, jamais elle ne pose malencontreusement son pied gigantesque sur son petit sans défense (normal, ces attributs ne viennent qu’en grandissant)
- Avoir d’autres chats à fouetter; ainsi des êtres abjects passent leur temps à fouetter des chats qui ne leur ont causé aucun tort, mais que fait donc la SPA, je vous le demande, que fait la SPA ?
- Peigner la girafe, montée sur une échelle, alors qu’oncques ne vit une girafe coquette prendre un RDV chez le coiffeur.
- Poser un lapin (où, pourquoi, comment) au lieu de le laisser à l’instar des lapins du moulin de Daudet, faire des cabrioles dans le serpolet.
- Quant à rapporter ici ce que certains font aux mouches, je n’ose, le rouge me vient au front, quoique je m’interroge avec curiosité, sur la faisabilité de la chose.
Ne vous méprenez pas, je ne suis pas une BB de pacotille, je pense aussi aux hommes. Ne parle-t-on pas de facteurs timbrés, de gens qui ne trouvent rien de mieux à faire que de lécher les vitrines, couper les cheveux en quatre, ou de donner des coups d’épée dans l’eau, quand le pays a besoin de tous ses enfants pour se relever le front haut et retrouver la gloire qui était la sienne !
Je m'emporte, je m'emporte, rassurez-vous je ne vais pas tomber dans les pommes (qui ne m'ont rien fait d'ailleurs, laissons les pommes aux pommiers), ni battre la semelle en attendant des jours meilleurs.
Appelons un chat un chat, je suis à présent la Jeanne d'Arc des mots, aussi cher Maitre, soyez mon compagnon d'arme, mon oriflamme, dans ce combat pour la rectitude de la langue, auquel vous apporterez, cher BHL, votre fougue, votre pugnacité et votre image, pour la France, pour demain, pour les générations futures.
Je reste à jamais votre dévouée admiratrice