Par un beau matin, le proctologue m'annonça que j'avais une tumeur à l'anus, ce qui fut pour moi le plus moche des matins.
Comment avec cette pourriture au derrière avancer sportivement pour faire mon jogging ? Pourtant, il me faut bien l'avouer, ce terrible diagnostic déclencha en moi les motivations les plus enivrantes pour occuper le temps qui me restait à vivre.
D'abord je décidai de ne plus consommer de surgelés. Puis je congédiai ma femme de ménage, non sans l'avoir auparavant couché sur mon testament et désigné comme unique héritière de mes biens. La fleur de mort qui me bouffait le rectum me fit alors entrevoir l'existence avec un regard candide. Les frémissements de la vie les plus anodins m'émoustillaient. Mon âme dardait ses élans de compassion sur tout ce qui bougeait. Je parvins même à échanger des propos obséquieux avec le patron qui m'exploitait. Le monde envers moi enfin commençait à se débarrasser de ses ombres et hachures mélancoliques. Je me sentais libre et refusais dorénavant de ne plus honorer le paiement de mes factures d'électricité et autres dépenses d'énergie superflues. J'allais me recueillir sur la tombe de ma mère et lui racontais avec douceur les avatars qui démangeaient le croupion de son cher enfant.
Plusieurs mois s'écoulèrent et à ma grande stupéfaction les soins de la médecine me préservèrent des douleurs les plus atroces. Le temps passant, ma femme de ménage réussit habilement à revendiquer avec succès son droit d'héritage sur ma fortune. Ce fut ainsi que mon mal au cul n'arrivant pas à avoir raison de ma vie, je dus enlacer malgré moi un nouveau destin. Dépouillé de tout mes biens et indigent, je devins le domestique de mon ancienne femme de ménage, qui ne manquait pas avec sarcasme chaque matin de me contraindre à un ironique baisemain.
Voilà comment une tumeur dans le fondement peut vous renverser perfidement le cours de l'histoire de la lutte des classes.