Je ne te regarderais pas dans la nuit incertaine comme je ne serais pas né pour te nuire et la poussière de la ville dans nos cerveaux lancerait lumières et signaux et toi qui serais debout dans tes robes blanches et toi qui serais ouverte aux yeux déjà trop lucides et toi qui demanderais pourquoi dans la ville je marche et la ville qui te demanderait pourquoi tu es et de la nuit incertaine tremblante de ses mots je commencerais à babiller et la poussière verrait s'allonger mes phrases et dans les robes blanches froides de la nuit je bougerais mes petits couteaux dans les poches pour affronter la ville un bouquet de Clématites vénéneuses pour ne pas arriver les mains vides un dictionnaire de syllogismes pour essayer de comprendre le monde et dans le dos de toi-même se dresserait de mon cœur une drôle de colère dont raison et tempérance seraient exclues parce que nées de toi parce que apprises de tes blessures parce que allumées par ton absence parce que la campagne déserte serait mon berceau et par-dessus tes cheveux et par-derrière ton refus je ne saurais pas quoi rassembler pour te ressembler je ne saurais pas crier pour être entendu je ne saurais pas sortir des murs sur lesquels on lirait ambiguïté et incertitude sur lesquels lézardes et fissures sur lesquels fentes et fêlures composeraient le mur fendu de mon image car un matin d'après-guerre dans les villes déconstruites tu m'aurais incertaine voulu et conçu avec mes bras malingres mes épaules malingres et vêtements d'infortune comme ceux d'une fille qu'on enfilerait sur un garçon dont les manches courtes ballon laisseraient voir que bras malingres avec poignets malingres aux poings serrés déjà et durs avant que n'explose sa révolte et de cette affabulation surgirait le visage gravé dans le mur emmuré dans le mur sa gravure dans le mur un visage plus grotesque que le tien le visage de mon visage qui malgré la fureur certaine à la bouche épaisse maquillée de sang avec le rimmel qui masquerait les yeux de moi-même horrifié de moi-même avec ma coiffure d'homme opposée à ta belle chevelure peignée mais tant de rouge sur ma bouche me fermerait la bouche mais tant d'apprêt m'empêcherait de crier mais tant t'empêchement m'obligerait à dire différemment et toi de la main m'indiquerait ton rejet tu serais liée par tes liens maladifs et compulsifs tu me ferais non de la main autant que du bras autant que du regard que tu tournerais apeuré en direction de la ville qui te giflerait de ses poussières et vicissitudes et de ta gracile poitrine jailliraient des charmes que la vieillesse vite endommagerait tandis que les oiseaux ne cesseraient de picorer ton crâne et que les arbres de la forêt se plaindraient de ton inaltérable indifférence comme t'aurait laissé de marbre aussi toute autre beauté putrescible et végétale leur préférant sans mesure murs et villes ruelles et immeubles….
Richard Stroubeck ne regarde plus la façade. Ces graffitis qui contaminent les murs l'agacent. Surtout celui-ci rue de Crimée. Il représente une femme élégante en robe blanche effrayée par le geste menaçant d'un monstre disproportionné aux allures androgynes. Richard Stroubeck continue son chemin. Il contourne la rue et rentre dans l'immeuble. Tous les mercredis il rend visite à sa mère. Elle est très âgée. Lorsque son fils apparaît elle prend un air craintif. Richard Stroubeck essaie de se montrer le plus affable possible. Mais rien n'apaise la vieille femme qui se demande quelle vérité se cache derrière le masque de Richard Stroubeck. La journée se passe ainsi dans cette frayeur retenue.