Je n’aime pas la rue, il y a bien trop de monde. Tout ces gens qui marchent autour de moi, qui croisent mon regard, qui me frôlent, me touchent. Avec leurs mains pleines de microbes. Je déteste la rue. Je déteste les gens.
Alors je ne sors pas quand il y a du monde. Je regarde les gens qui passent en journée, bien caché derrière la vitre de mon building. Toutes ces petits insectes ne sont plus du tout menaçants quand je les vois depuis mon douzième étage, je pourrais même les écraser avec ma chaussure. Mais après ma chaussure serait dégoutante. Je reste cloitré dans mon bureau jusqu’après 21 heures quand les rues de mon quartier d’affaire se sont vidées et que les gens sont rentrés chez eux et m’ont libéré la rue. Et moi je peux alors sortir pour rentrer chez moi sans les croiser. Mon chef croit que je fais des heures supplémentaires et non payées par amour du travail bien fait et par conscience professionnelle, le crétin. Un incompétent notoire mais lui au moins ne fait pas semblant d’apprécier ses collaborateurs en leur serrant la main le matin, il passe sans rien dire. J’aime quand les gens ne me touchent pas. Sinon je dois aller me laver les mains pour tuer les bactéries et les virus qui pullulent à la surface de la peau des étrangers. Pour ne pas attraper de maladie. Et ça me met en retard dans mon travail. Je n’aime pas quand mon programme est perturbé.
Je suis le premier arrivé le matin. J’arrive à 5 heures, quand les rues sont encore vides, quand la majorité des gens dort encore. Mais moi je n’ai pas sommeil. Je dors très peu, je n’aime pas ça. On ne peut rien contrôler quand on rêve et je n’aime pas quand cela m’entraine vers certaines choses. Quand maman vient me voir. Alors je ne dors pas. Je n’aime pas maman, je ne veux plus la voir.
Je marche à pied pour venir à mon travail, dans l’air frais du matin. J’habite à quelques rues de mon travail. J’ai choisi mon itinéraire avec soin, comme mes heures de sortie. Je prends la rue des Bonnes Gens (je n’aime pas les mauvaises gens…) puis je tourne dans la rue du silence (je n’aime pas les bavards qui parlent pour ne rien dire, il m’arrive de passer plusieurs jours sans prononcer une seule parole, je n’en vois vraiment pas l’utilité). Cela me fait un petit détour mais il est hors de question que je passe par la rue de la Peste. Même si c’est en honneur du livre du même nom, je ne veux prendre aucun risque. Puis je tourne rue de la rose (j’aime les roses mais je ne les touche pas car elles ont des épines qui peuvent donner le tétanos). Je ne prends pas le boulevard de Paris parce qu’il est pavé et je ne peux pas marcher sur les traits. Je ne marche jamais sur les traits, ça porte malheur. Mais à 4h30 on ne voit pas bien parce que c’est mal éclairé et cette rue devient donc trop dangereuse. Je préfère donc passer par la rue de la monnaie (et en plus ça j’aime, je ne suis pas le schtroumpf grognon qui n’aime rien).
Et j’arrive alors à mon bureau. Je ne croise presque personne et si c’est le cas, je regarde par terre et je serre fort le manche de mon parapluie. Les gens du bureau m’appellent l’homme au parapluie dans mon dos, comme si cela pouvait me faire de la peine, comme si je pouvais être intéressé par leurs pensées. Ils ressemblent aussi à des insectes quand je les regarde sortir de ma fenêtre. Immondes cafards. Je n’aime pas mes collègues, mais mon parapluie est mon plus fidèle compagnon, il est toujours là et me rassure. Je serre fort le manche, prêt à frapper si quelqu’un s’approche de moi dans la rue. Je frotte de mon pouce le cuir rugueux en marchant pour ne pas penser aux gens que je pourrais croiser. Un jour un de mes stupides collègues m’a caché mon parapluie. Je me suis rendu compte de sa disparition quand j’ai voulu rentrer chez moi et j’ai alors senti mon cœur qui battait très fort et qui me remontait dans la gorge. J’avais chaud, incapable de bouger, incapable de sortir dehors, comme paralysé. La femme de ménage m’a trouvé comme ça à 3 heures du matin, quelle honte. Mais elle a aussi retrouvé mon parapluie. J’ai dû bien le nettoyer parce qu’elle l’avait touché, elle et aussi le stupide farceur. Mais de toute façon elle n’a pas pu jaser sur moi, je l’ai fait renvoyer en disant que je l’avais vu voler des rouleaux de scotch et des stylos. Et je me suis aussi occupé de mon méchant collègue, cela m’étonnerait qu’il retrouve du travail de sitôt après ce que je lui ai fait. Voilà ce que c’est quand on est méchant.
Si vous me voyez passer un jour dans la rue, tôt le matin ou tard le soir avec mon parapluie, ne vous approchez pas et laissez nous tranquilles où il vous en cuira.
Tenez le vous pour dit.
Je n’aime pas les méchantes gens.