Dans la rue de Naast, la circulation n'est permise que de bas en haut."
Cette déclaration, elle est placée bien haut,
Sur une plaque émaillée, vieille de plus de cent ans,
Qui a survécu aux outrages du temps.
A quatre mètres au-desus du trottoir,
Elle surveille, sérieuse, toutes les trajectoires.
L'automobiliste qui tourne le coin
Est un habitué, et il le sait fort bien.
La rue tout entière est pour lui,
Oublieux sans façons du piéton qu'il trahit.
A huit heures, il s'élance à l'assaut
De la grasse matinée, lui, le lève-tôt.
La rue, c'est sûr, est un bon raccourci,
C'est tant pis pour les riverains assoupis.
A huit heures trente le convoi est passé;
On peut sortir enfin, on peut respirer.
Jusqu'au lendemain, la rue est aux gens
Qui l'habitent depuis très longtemps.
On se connaît, on se salue,
On s'enquiert d'une nouvelle venue,
D'un pauvrechat égaré,
Ou d'un tag scandaleux dessiné.
On fait les courses pour le voisin,
On se penche pour caresser son chien.
Le pavé est ingrat, le trottoir est mesquin:
Plus étroit, ce serait peau de chagrin.
Les géraniums sont à la fête,
Bien au chaud dans leurs logettes,
Sur le seuil pierreux d'une fenêtre
Où les fleurs amoureuses s'enchevêtrent.
Ici, depuis l'an douze cents,
La vie fleurit tambour battant,
Et si à huit heures le pavé sent l'essence,
A huit heures trente il retrouve un air d'enfance,
Un air d'autrefois, un air d'amitié,
L'air de ma rue dont je ne puis me passer.