Sur le tapis vert de ma vie, je n’abattrai pas mon jeu.
J’abattrai mon père.
Impair.
Impair manque et passe.
J’y remplirai mon escarcelle à miser sur sa grève de sentiments. Le père absent, celui que l’on cherche, celui qui fout le camp.
Je l’ai tant cherché. Sur ce tapis vert, j’ai beaucoup misé. J’ai mis trop de constance à tenter de me faire aimer.
De sérénades en jérémiades, je n’ai jamais fait mouche. De la petite enfance à l’adolescence, j’ai misé toute ma tendresse.
Colliers de perles et lettres tendres, friandises et poèmes enfantins, n’ont pu estomper son indifférence.
Même notre géographie nous séparait, nous ne partagions même pas le même solstice.
Plus tard, ayant tout perdu et, comme une droguée des salles aux néons, pensant me refaire à chaque fois, j’ai misé toute mon âme.
L’enfant méprisée, piètre lutine, pauvre petit être meurtrie et égarée, s’est construite sur ce maigre canevas.
Et pourtant.
Aujourd’hui je suis une femme et en moi brûle un feu que le maigre fagot paternel originel n’a pas attisé.
J’ai joué, j’ai misé. Souvent j’ai perdu.
Forcément. L’impair est amer.
Que n’ai-je compris plus tôt que le tapis vert de ma vie était ailleurs ?
Car si un père manque et passe, la mère aime et reste. En tout cas la mienne.
Aujourd’hui enfin je sais que si à la roulette un chiffre je misais, ce serait une erreur d’algèbre : Impair, ce zéro.