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Cela faisait longtemps qu’il rodait dans ces lieux froids et obscurs, ces longs couloirs qui ne mènent plus nulle part, et ça, même si on le prenait pour un fou, il le savait...

égaré ses idées fantasques qui l’avaient conduit ici même autrefois..

Il s’était réfugié il ya bien longtemps dans l’imaginaire, ce monde féérique qui a ses yeux n’en demeurait pas moins « le monde vrai » comparé à la société de consommation qu’il avait fui auparavant. Ce monde matériel et opportuniste ne l’intéressait pas, ne lui plaisait pas, il était bien trop pitoyable à ses yeux, lui qui avait gardé à 65 ans une belle âme d’enfant. Interné pour ses idées fantasques et saugrenues, il se faisait appeler « docteur Bonenfant » parce que disait-il, il soignait le monde avec ses images à lui, avec un regard d’enfant qui suscitait le sourire et la joie de vivre d’avant...

D’avant les ramassis d’ordure déversés sur notre terre,
D’avant les sérénades politiques, et leurs escarcelles remplies de promesses non tenues,
D’avant les meurtres et exactions commis ça et là,
D’avant les « 2 en 1 » ou les « 2 pour 1 » qu’il ne supportait plus d’entendre à tort et à travers,
D’avant la disparition des forêts en Amazonie ou le massacre des pandas,
D’avant les détritus épandus au bord de la grève, transformant notre monde en un fagot de désolation,
D’avant la désertification de l’Homme et de son Univers.

Nous étions le 25 Décembre, c’était le solstice d’hiver. Et comme chaque année, l’Asile se préparait à fêter Noël. Les hommes en blanc avaient essayé de rendre cet endroit un peu moins lugubre qu’à l’accoutumée... Des guirlandes pendouillaient ici et là... Des colliers de perles et des friandises étaient accrochés aux lits. De la poudre aux Yeux ! hurlait-il en courant dans ce labyrinthe infernal, de la poudre aux Yeux ! Disait-il avec constance.  Vous voulez un souvenir de Noël ? Vous voulez que je vous raconte la Vie, la vraie ?

Devant le tintamarre inhabituel, les fidèles du Docteur Bonenfant, pareils  de petits lutins blancs, sortirent de leur chambre et le suivirent dans un cortège de couleurs et de rires enchantés. Il le savait, il aurait son auditoire, elles, elles l’écouteraient. Ils prirent d’assaut la seule pièce de libre qu’il restait. Alors que le Docteur Bonenfant montait sur une chaise pour mieux dominer, ces quelques femmes s’asseyaient parterre, rangeant leurs canevas et autres pelotes de laine, les pieds et mains croisés dans un silence étourdissant.

"Le docteur Bonenfant cherchait dans sa mémoire, répétant à mi-voix : " Un souvenir de Noël ?... Un souvenir de Noël ?... " Et tout à coup, il s'écria :

- Mais si, j'en ai un, et un bien étrange encore ; c'est une histoire fantastique. J'ai vu un miracle ! Oui, mesdames, un miracle, la nuit de Noël."

C’est ainsi qu’il commença son récit : « Il faisait bon, très bon. C’était à côté de l’Océan. Tandis que les vagues léchaient le sable encore tiédi par la lourde chaleur de la journée, j’aperçus au loin des lumières dans le noir. Un flot de lumières pétillantes s’estompant peu à peu dans la nuit. Les pins de la baie se baissaient sous son passage comme pour lui faire une révérence. Les vagues clapissaient de plaisir contre les roches au regard inquiet. Et pourtant, une douceur émanait de cette lumière, une douceur semblable à celle de la peau d’un nouveau-né . Oui, un nouveau-né, Mesdames.. Comme vous auriez aimé le tenir dans vos bras ! Cette forme lumineuse s’approchait peu à peu de moi et m’enveloppa alors que je reculais d’un pas. Là, je sentis une force fermenter en moi qui m’enleva dans un tourbillon fascinant et mystérieux à la fois pour me déposer délicatement sur un nuage argenté de mille feux.. Oui Mesdames, un nuage argenté.. Comme un enfant alors, je sautillais et m’enfonçait lentement dans les brumes d’un rêve.. Et pourtant, je vous le dis, cela n’en était pas un.. Si vous saviez comme j’étais bien du haut de mon nuage... Il ordonna au vent de souffler légèrement, suffisamment délicatement pour ne pas que je tombe.. Et nous partîmes vers des contrées que je n’oublierai jamais, des contrées verdoyantes où la mousse des forêts était pareille à un lit douillet, ou la sève des arbres m’abreuvait de bonheur, où les oiseaux dansaient au dessus de moi, où les champignons s’esclaffaient de joie.. «

Il fit une pause.

L’auditoire reprit ses esprits.

« Je vous le dis, ajouta t-il, aujourd’hui, les autres, ceux de l’extérieur, appelleraient ça un Miracle de Noël, non, Mesdames, ce n’était pas un miracle, mais la vraie vie, celle que nous devrions toujours avoir en nous. Cette chose incroyable qui m’a permis de passer d’un monde à l’autre pour rejoindre mes pensées et mes désirs, cette chose incroyable, Mesdames, s’appelle la Volonté de l’imagination. La volonté de transformer les choses avec ses yeux, la volonté de faire un peu de gaîté autour de soi. Se lever un matin et décider que le monde serait meilleur et faire en sorte qu’il le soit. Oui, ça c’est un miracle, un vrai, parce qui oserait aujourd’hui dans ce monde extérieur si austère prétendre réussir ce vœux. Hein, qui, Mesdames, à part des fous ?.. « 

 

Tag(s) : #Textes des auteurs
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