Quand je suis arrivée dans la bibliothèque municipale, l’habitude a guidé mes pas en direction du premier étage réservé aux adultes,vers la troisième rangée, rayonnage de la Science Fiction et de la fantasy.
D’instinct, mes mains ont frôlé les couvertures des livres pour les faire parler. Au fil de mes visites, le choix s’est fortement amoindri. Je connais trop bien les paroles des uns, celles de bien d’autres me laissent toujours aussi indifférente. Puis, arrêté dans son envolée, mon doigt s’est posé sur ce livre inconnu, au titre évocateur. La nuit des temps…ces simples mots ont raisonné dans ma tête, laissant présager un brin de finesse dans le monde parfois un peu froid la science fiction. Le nom de l’auteur, Barjavel, offre des consonances agréables à lire. Intriguée, j’ai retiré le livre du rayonnage, pour le libérer de la prison de papier glacé qui l‘entourait, le comprimait, l‘étouffait. Ce n’est pas un de ces livres qu’on entrepose précieusement sur une bibliothèque, après s’être abreuvé de son contenu, il est voué à être tenu fermement par des mains tremblantes d’émotions, à être lu à outrance, ses pages tournées mille fois à chaque relecture, et manipulé en tous sens pour reprendre des passages importants, émouvants ou parfois déroutants. C’est le sort que je lui ai destiné, et c’est d’une bouffée d’air frais qu’il m’a gratifié en retour…Plus précisément de l’air glacial de l’Antarctique où se déroule toute l’histoire.
Antarctique, désert blanc, terre de glace aux secrets immortels. Une équipe scientifique y teste un nouvel appareil de sondage des sols. Par hasard, ils détectent des ruines prisonnières de la glace depuis plus de 900 000 ans. C’est une découverte sans précédent, incroyable, inconcevable sur l’échelle du temps.
Utiliser ce matériel pour la première fois et se placer à l’endroit précis, est-ce vraiment une coïncidence? Quelle force a donc appelés les scientifiques vers ce rendez-vous historique, cette improbable aventure? L’auteur lance la réflexion, pousse le lecteur à s’interroger, enveloppe l’événement de mystère. Le ton est donné, je suis déjà scotchée, la lecture peut continuer.
L’événement prend un ampleur mondiale, se diffuse sur tous les écrans, enflamme les populations, toutes générations confondues. Il prend une dimension plus grande encore, quand on découvre une sphère hermétique, avec à l’intérieur deux corps : ceux d’un homme et une femme, congelés depuis plus de 900 000 ans…vivants!
Barjavel n’hésite pas à nous fournir les moindres détails (schémas explicatifs, termes scientifiques), déjà oubliés, car je suis peu experte dans ce domaine .Mais qu’importe, la crédibilité est là! Je suis l’auteur jusqu’au bout de ses révélations, ne doutant pas un instant de leur véracité, oubliant la fiction. D’ailleurs, ce n’est plus une fiction que Barjavel nous livre, mais un témoignage, celui d’une réalité qui n’est pas, mais qui aurait pu être, une vérité parallèle.
Viens ensuite la phase de l’éveil. Celui de la femme prénommée Eléa.
Eléa beauté divine…Eléa dont Simon (médecin de l’équipe de chercheurs en place), tombe éperdument amoureux. Eléa qui livre ses souvenirs à l‘humanité, ceux d’une société quasi-parfaite, à l’organisation infaillible. Eléa amoureuse de Païkan, celui que l’ordinateur a choisi, celui qui lui est prédestiné, sa moitié, son âme soeur, celui à qui elle appartient.
L’amour prend alors au sein de ce livre de science fiction une place essentielle et décisive. L’amour passionné et patient du Dr Simon. Proche de la jeune femme, il l’écoute, la comprend, la protège. L’amour d’Eléa et Païkan, accord parfait de deux êtres complémentaires réunis par la logique. J’avoue, que je reste sceptique sur cette conception de l’amour. Suffit-il d’un ordinateur et d’une logique mathématique pour trouver l’amour? Là encore, l’auteur m’étonne par la force qu’il donne à cet amour. Les mots de Barjavel pourtant simples, me laissent sous le choc par leur intensité émotive. Pas de sentiments mesquins, pas de jalousie, pas de possession. Juste une confiance totale et une appartenance: Eléa ne dit pas: « Païkan est à moi », mais: « Je suis à Païkan ».
Avec Barjavel, l’amour s’écrit avec un grand A, celui de l’Absolu…Je me rappelle avoir relâché le livre plus d’une fois, pour lentement digérer les émotions emmagasinées et bien mémoriser les sentiments exhalés, pour les ancrer dans ma mémoire et ne jamais les oublier.
Sans doute aurais je dû vous parler de l’équation de Zoran et de la menace de la guerre… Sans doute. Mais ce n’est pas ce qui m’a marqué le plus dans ce roman…
Au fil de mes lectures, bien d’autres livres viendront ajouter leur empreintes dans mon esprit, mais je garderai à jamais la trace indélébile des amours de Païkan et Eléa…