Le texte du mois // Proposition 269 - Frédérique

Bonjour, Voici le texte du mois pour la proposition 269. La présentation de l’auteur est à découvrir ici.

Proposition 269 –Le visiteur inattendu (scenario)

Vengeance

Indifférente aux clapotis de la pluie qui frappe les carreaux, je me suis laissée engloutir par le canapé, Marcel sagement posé à côté de moi. Le feu crépite dans la cheminée, jetant quelques flammèches indolores sur mes pieds. Il ne m’a pas été très compliqué de l’allumer, un claquement de doigts et hop ! Ma situation a tout de même quelques avantages. Pour le livre, j’ai dû ruser. Je n’arrivais pas à l’attraper sur la bibliothèque, il a fallu que je le fasse tomber, que je le pousse jusqu’au canapé, que je me concentre pour enfin le tenir entre mes mains diaphanes. « Longtemps, je me suis couché de bonne heure… », je n’avais jamais pris le temps de lire Proust, je dispose à présent de l’éternité.

-       Toc toc toc !

Je quitte brutalement Combray et lève la tête. Qui cela peut-il être ? Peu importe, je n’attends personne. Reprenons : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure… »

-       Toc toc toc !

J’abandonne l’ouvrage et me coule jusqu’à la porte. Mon regard transperce l’épaisse porte en bois et :

-       Ciel, mon mari !

J’ai toujours rêvé de dire ça et un fou rire m’envahit. Je comprends que mon pauvre époux n’arrive pas à ouvrir, sa clé est coincée dans la serrure. Il peste et inonde la porte d’un charmant vocabulaire très imagé en la secouant de toutes ses forces. Marc a toujours eu un langage peu châtié dans ses accès de colère. Je pose ma main sur la clenche qui cède instantanément et ma tendre moitié, arc-boutée sur la porte, est propulsée par son propre poids dans le vestibule.

-       Jubilatoire, me dis-je.

Il maugréé, enlève ses chaussures, laisse tomber son pardessus ruisselant sur le sol et se dirige vers le salon. Il contemple la cheminée d’un air abasourdi et murmure :

-       Qu’est-ce que…

La perplexité fronce son visage, et fait ressortir ces rides que j’aimais tant autrefois. Je tends la main vers le feu qui s’anime comme si on y avait versé de l’huile. Marc recule d’un pas vif. C’est assez amusant de faire cela et je renouvelle l’expérience une ou deux fois.

Mon rationnel mari ne comprend pas, mais comment le pourrait-il ? Moi-même j’ai encore du mal à appréhender mon nouvel état. Je m’approche de lui et murmure langoureusement à son oreille :

-       Tu vas mourir…

Evidement, il ne me voit pas, mais je suis convaincue que la force de mon esprit le pénètre.

-       Tu vas mourir…

Là, il m’a entendue, j’en suis certaine. Je l’ai senti frissonner sous mon souffle glacial. Je passe mes bras autour de son cou et l’enlace. Je me love contre lui, chatouille sa nuque. Il se frotte le cou comme pour chasser un insecte.

-       Il y a quelqu’un ? demande-t-il d’une voix rauque

Je sens l’épouvante l’envahir peu à peu. La peur, l’angoisse, l’incrédulité, toutes ces émotions qui m’ont pareillement saisie lorsque j’ai compris qu’il m’avait empoisonnée, juste avant que je ne m’effondre, morte.

-       Jeanne, c’est toi ?

-       Oui mon amour, je suis là, tout près de toi. Je suis revenue pour toi, plus rien ne nous séparera à présent.

Il secoue la tête et tente de se reprendre, stupide mari sceptique. Il allume la lumière, et s’attelle à tisonner le feu. Je tends le bras vers l’âtre, et les bûches se dressent d’un coup, à la manière des personnages de Disney dans Fantasia. Je me régale à les faire danser quelques instants, me délectant du cri de terreur de Marc, mon cher assassin. Puis ce jeu me lasse, il est temps d’en finir.

Alors lentement, je me glisse dans le feu et attire mon époux à moi, dans une ultime étreinte. La stupeur le tétanise, il est docile comme un agneau, un comble pour lui qui a toujours détesté le méchoui !

Lorsque son corps sans vie s’immobilise dans un doux chuintement, je peux enfin reprendre le cours de ma mort.

« Longtemps, je me suis couché de bonne heure… »