P224 Gisèle - Champagne et réflexion

31 décembre, 23h20

 La maison décorée avec raffinement pour les fêtes du Nouvel An est prête pour la traversée habituelle dans la nouvelle année. Dans l’âtre, le bois brûle avec intensité et rend l’ambiance des plus agréable. La musique choisie, douce et nostalgique, se faufile aux quatre coins de l’appartement.  Un buffet composé de bouchées raffinées, d’huîtres, de saumon fumé et de pâtisseries gourmandes attend au frais comme à chaque année. Les bouteilles de bulles alignées les unes contre les autres sont prêtes pour le coup de minuit. Le tableau semble parfait et donne une impression de réussite et de bonheur. Il y manque pourtant la famille réunie, les conversations animées, les rires et la chaleur humaine.

 Devant la grande fenêtre du 21^e étage dominant la ville illuminée, Hubert vêtu de ses plus beaux habits sirote un verre de scotch. Sa mine sérieuse et son immobilité reflète son état d’âme. Une fin d’année sous le signe de sentiments ambigus et variés. Sur le plan des affaires, l’année s’est avérée réussie, une belle croissance et de bons rendements, rien à redire de cet aspect de sa vie si ce n’est le temps qu’il y a consacré au détriment de sa vie personnelle. Des remords l’assaillent, la culpabilité le ronge. Il n’a pas su être présent pour ses deux parents malades dans les dernières années, tous deux maintenant partis à quelques semaines d’intervalle il y a à peine 8 mois. Il n’est pas fier de lui, d’avoir laissé sa vie professionnelle empiéter sur ce qui aurait dû être ses priorités.

 Après 27 ans de mariage, Madeleine l’avait quitté, exaspérée par ses absences et le peu de temps consacré à sa famille et à leur couple. Elle aura eu la décence d’attendre le décès de ses parents avant de partir, il lui en est d’ailleurs très reconnaissant. Leurs deux enfants, deux jeunes adultes, vivent à l’étranger pour leurs études et n’ont pas du tout été surpris de la décision de leur mère. Bien au contraire, depuis longtemps déjà, ils devinaient sa tristesse et constataient l’aveuglement de leur père. Ils étaient restés proches d’elle, l’avait soutenue dans ses choix de vie. À leur père, ils ne donnaient que rarement des nouvelles.

 Le mois dernier, il avait fait un infarctus duquel il s’était bien remis physiquement mais qui l’avait secoué de manière inattendue. Comme si le fait d’avoir frôlé la mort lui avait fait prendre le pouls de sa vie. Depuis, il n’a cessé de réfléchir aux erreurs commises et à son manque de jugement, seules les affaires avaient compté.

 En résumé, l’année qui s’achève a été exécrable, il attend donc minuit avec une certaine impatience dans l’espoir de donner une autre direction à son existence. Il souhaite faire la paix avec les siens, leur faire des excuses et leur demander de lui donner la chance de se racheter. Mais le plus important, c’est de leur dire qu’il les aime, qu’il regrette d’avoir été aussi con. Ils les a donc tous invités à venir célébrer la nouvelle année qui arrivera dans quelques minutes. Il s’excusera pour tout ce qu’il leur a fait subir dans le passé. Seront-ils au rendez-vous ? Lui donneront-ils la chance de s’expliquer et de s’excuser ? Il les a convoqués pour 23 heures. Les minutes passent et toujours pas de signe de leur venue. Il n’en n’est pas surpris, il comprend.

 Le regard embrouillé par les larmes, il admire la ville. Sa ville, si belle. Comme par magie, la neige se met à tomber et lui offre un spectacle magnifique. 

 Un autre scotch mettra un peu de chaleur dans son cœur blessé. Au moment précis où il soulève la bouteille, le carillon retentit.

 Pour la première fois de sa vie, il veut bien croire aux miracles.