Mon voisin est un peu barré, c’est un jardinier des quatre saisons qui fait toujours chou blanc en matière de récolte, attrape juste un rhume à chaque changement de temps, un lumbago quand la terre est trop sèche et le blues du jardinier le restant de l’année. Très sensible aux changements de saison, il veut me mettre en garde contre une maladie récente, qu’il a inventée exprès pour moi, car il dit comme ça, qu’attraper une maladie inconnue, c’est un cadeau que nous envoie le ciel. Il a appelé cette maladie, parce qu’on l’attrape surtout la nuit, la maladie du lit vert, et aussi parce que sa femme a eu la bonne idée de repeindre récemment les murs de leur chambre de cette couleur et par la même occasion le lit, l’armoire, les chaises …et le chat qui passait par là. Sans compter bien sûr la literie assortie, les draps verts, la couette et un oreiller vert.
Je lui ai dit l’autre jour : Michel, vous avez mauvaise mine, je vous trouve le teint bien vert. C’était juste parce que la peinture de la chambre n’était pas encore sèche et qu’elle avait déteint sur ses pommettes ridées et initialement rougeaudes. Car habituellement, en cette saison, il est rouge comme un coq, ça m’a fait tout drôle de le voir repeint en vert , qui est plutôt la couleur attribuée au printemps. En vert et contre tous, me direz-vous, car sa femme n’aime pas le voir papoter avec moi, elle croit toujours que l’on dit du mal d’elle, alors qu’on n’en parle jamais. Michel m’a dit : on va avoir un hiver rigoureux, chère voisine, je l’ai cru tout de suite à ses oreilles gelées et à son nez cramoisi. On aurait dit un bonhomme de neige tricolore. L’hiver est en avance cette année, poursuivit-il… ou c’est nous qui sommes en retard sur lui, répliquais-je pour faire un bon mot. Mais Michel n’a aucun humour, ou à la limite celui de ses courges et de ses potirons. Encore n’ai-je jamais entendu rire une courge, les potirons quant à eux doivent rire jaune, c’est ce qu’il m’a affirmé en se tordant de rire. Oui, j’avais oublié de vous dire que, comme la plupart de ses congénères, Michel ne rit que des bons mots qu’il invente. Et quand il ne rit pas à ses blagues, c’est qu’il ne les a pas comprises.
Pour en revenir à l’hiver rigoureux et à cette terrible maladie qu’on nous promet, rien de tel que de bons légumes verts pour éviter la catastrophe, m’affirme Michel, il en a rempli son congélateur et il m’en donnera si je n’en ai plus. Tandis que nous parlotions selon notre habitude, nous avons senti quelques gouttes que nous avons prise en premier lieu pour de la pluie ; mais non, c’étaient déjà les premiers flocons qui annonçaient un hiver précoce et sans doute rigoureux. Nous avons regagné au plus vite nos maisons respectives en nous souhaitant une bonne santé, tandis que sa mégère, verte de rage, fermait bruyamment les volets en signe de mécontentement. M’est avis qu’il vont passer, ces deux-là, un bon hiver dans leur gentil nid douillet et leur si jolie chambrette juste repeinte aux couleurs du printemps !