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Il pleut des clous. Il pleut à verse.

 

La pluie tombe dru, sèche, gigogne. Elle aime s’acharner sur tout ce qu’elle rencontre. Elle sait d’une manière intuitive devenir choquante, obsessive, redondante et intrigante. Partout où elle porte ses pas, elle le fait d’une manière saccadée, intrépide, accablante et obsédante. Elle devient en des cas d’exception, une personnalité de marque, prolongeant son invitation pour de longues périodes successives.  Elle dessine à qui veut la voir frémir des ronds translucides, imbriqués toujours en mode hasard, les uns dans les autres, afin de finir tôt ou tard par se fondre en de grosses gouttelettes ridicules qui n’aspirent qu’à devenir d’immenses flaques nonchalantes. Elle s’ingénie à venir chatouiller les pièces de billes en verre rutilant accrochées aux linteaux des maisons en guise de gris-gris !  Touchée par leurs présences, elle accorde aux autres, à celles et ceux-là mêmes qui se laissent déranger, ces humanoïdes réfléchissants, la possibilité de l’entendre, presque de la sentir vibrer, palpiter et respirer sur les vitres aux carreaux écaillés ! Elle se présente souvent sans prévenir, tôt à l’aurore ou tard le soir, lorsque le soleil bâille, s’étire et se cache la face ronde sous le sombre manteau d’opacité du couvert de la nuit qui naît et de celle qui s’achève.          

 

La pluie ose aux grands regrets des mordus asséchés des averses persistantes, calorifiques et poussiéreuses, se faire le bonheur et le plaisir de petits pas de danse acrobatique sur une terre craquelée ! Sur des airs nostalgiques des années perdues, des grandes averses éperdues, les parapluies s’entrechoquent aux rythmes chaotiques des passants déambulant sur les boulevards pressés ! Des portes de café s’entrouvrent et claquent sous les bourrasques du vent. Des corps transis se trémoussent devant des âtres flamboyants. Des chiens mouillés se recroquevillent aux pieds de leurs maîtres frissonnants.    

 

C’est alors que tandis que sans crier garde, l’ombre de Yark, fantôme des nuits sanguinolentes et pluvieuses, se dessine fétide, pâle, sans contour défini sous les projecteurs dirigeables du plafonnier suspendu, que quelques gouttes d’une matière putride, résidu visqueux, s’écoulent de la main coupée de Meurrk et tachent le sol immaculé d’un reflet verdâtre.    

 

Ce sont les traces laissées par les pas de Yark sur le plancher, qui permettent de voir sa présence lorsqu’il marche sur les restes éclaboussés à même les carrelages glissants de noir et de blanc.            

 

Alors que je pourchasse l’ombre de Yark dans la nuit entachée des traces nébuleuses laissées par les mains coupées, qui jonchent encore le sol perlé des gouttelettes d’eau, où je pose le plus silencieusement possible mes pas; j’entends au loin, le ronflement sourd et saccadé du coupeur de main qui pique un somme, la tête appuyer confortablement sur sa main rondelette aux doigts engourdis.

 

Il pleut toujours sur la colline, alors que sur le mur… les mains coupées dansent la claquette de leurs doigts crochus !              

 

 On me nomme Yark, le squelette silencieux, qui sort les nuits de pluie, lorsque la lune blafarde cache mon existence aux rares passants pressés. Le son mat de mes pieds osseux chante des cliquetis, résonnant telles les gouttes de l’onde s’écrasant sur le dure, s’étirant, bâillant, puis s’étiolant afin de s’amalgamer à leurs semblables déjà éparpillées ici et là! Tenant toujours la main sanguinolente et purulente, j’ose espérer que je vais retrouver Meurrk … je crois bien que je tienne la sienne dans la mienne et non la mienne dans la sienne !          

 

Puis se dodelinant avec une attention particulière, l’ombre blafarde et grisâtre de Yark se faufile habilement entre les tables basses d’un bleu acier, sur lesquelles on a déposé des candélabres translucides aux bougeoirs garnis de fleurs magnifiques, dont les nombreux reflets rappellent ceux des multiples facettes d’un rarissime et merveilleux diamant étincelant.     

 

Furtive, elle glisse sur les dalles granitiques d’une candeur froide, évitant les multiples tabourets stylisés d’une haute tubulure filiforme et monolithique, sertie d’une rondelette rondelle de cuir parfaitement lustré, en guise de capuchon servant probablement de siège confortable.            

 

Les habitués sans visage ni expressions aucunes paraissent déserter le seul bistro du coin. Sans doute le mauvais temps ! Maudite pluie !

 

C’est ainsi que comme par magie, le reflet de Yark s’assoit amoureusement, langoureusement, j’oserai même me mouiller en avouant qu’il le fit d’une manière câline, sur le second pistil cuivré ! D’une de ces longues et fines cannes osseuses, il pratique l’exercice du pied qui s’avance, touche le sol de la pointe et dans un élan vers l’arrière, permet la rotation du tabouret. Et voilà l’ombre qui s’affole et se meut en un tourbillon de folie qui n’en finit plus ! 

 

La sordide carcasse de Yark, se voit ainsi projetée dans un sinistre tourbillon de matière opaque, gluante et nauséabonde ! Ne ressentant plus ni son esprit ni son pauvre corps filiforme, il lui semble que quelqu’un ou quelque chose de terriblement puissant l’attire bien malgré lui dans un autre lieu, un autre temps. Il se sent alors vampirisé par la force centrifuge d’un de ces géants trous noirs liquéfiés. Comme aspiré à la vitesse vertigineuse de l’éclair, il disparaît de son pistil stylisé et se retrouve dans un tourbillon stellaire inconnu. Ni carrelage glissant ni tabouret métallique ou tintamarre de gouttelettes de pluie fines et drues pour former un trio musical comme fond de trame sonore, lors de son transfert. Rien d’une présence de bruit.   

 

L’affreux silence mortuaire et glacial du vide cosmique l’entoure. L’absence tangible et concrète de la chaleur bienfaisante, si réconfortante, lui procure instantanément une sensation exécrable, très inconfortable.        

 

Il s’en souvient maintenant que finit un haut-le-cœur magistral, ainsi que les palpitations et les bourdonnements qui résonnaient encore si fort à ses tympans sensibles, il y a quelques instants. Lesquels appendices se transforment bien malgré lui, en une peau si tendue, fine et délicatement texturée, que l’on dirait la peau d’un tambour sur lequel les sons et les bruits percutent. Telles des gouttelettes de pluie drues tambourinant les carreaux des fenêtres, ils viennent frapper au hasard comme le bâton sur le gong tibétain. Pour ensuite péniblement résonner en vibrations infinies qui se perdent au lointain tel un écho infatigable en route vers des mondes inconnus.            

 

C’est alors qu’il songe l’instant d’un flash luminaire, d’un éclair gigantesque où tout devient à son regard d’une blancheur irradiante, étincelante ; qu’il possède en lui une connaissance, comme une prescience de l’étrange. Oui, aussi extraordinaire, mystérieux et merveilleux que puissent lui paraître ces phénomènes étranges, il a la certitude d’un déjà vu !  Auparavant, il a connu ces sensations. Oui, tout lui revient maintenant à la mémoire. 

 

Ces nuits d’orages interminables, où coucher sous le lit de sa chambre à se boucher les oreilles de ses petites mains menues et les vifs éclairs qui passaient outre la barrière naturelle et protectrice de ses paupières closes. Et le souvenir récalcitrant de la main coupée. Cette main macabre et sanguinolente qui se retrouvait continuellement dans le moindre des recoins cachés de ses rêves.

 

 

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