P162 Josée – Souvenirs anticipés

"A Moi, que je ne suis pas. Pas encore.

A Moi, que je serai, peut-être. Ou peut-être pas, si je me perds en chemin sur la route sans nom.

Que me dire de moi que je ne sache déjà, si tant est que l'on puisse se connaître vraiment ? Me connais-je moi-même ? Me connaîtrai-je encore, dans le tourbillon de l'âge qui sépare inéluctablement le Moi d'avant du Moi à venir ? Les souvenirs, clichés sépias éparpillés, font comme un kaléidoscope où se perdent les êtres.

Me serai-je anonyme ? Entre Moi et Moi, les ans sont un abîme. Telles, dans le désert, les statues grêlées des pharaons vérolées de poussière, qui fascinent, jusqu'au vertige, les explorateurs d'un passé à jamais perdu.

Et moi, qui serai-je ? Je peine à m'imaginer sans effroi, persuadée que le flux des années m'emporte à gros bouillons vers la déchéance et la désagrégation. Serai-je encore vivante assez pour me rejoindre, dans vingt ans ?

De Moi à Moi, qui suis-je ?

Dis-moi, cher hologramme, pure projection de ma pensée, est-ce moi qui t'imagine, ou toi qui te souviens de moi ?"

"Allons, dit Moi en soupirant, encore une vieillerie sans intérêt. Que j'étais bête en ce temps-là ! Contentons-nous d'exister !"

Et Moi rangea la lettre refermée dans le carton des vieux papiers à jeter.