J’ai déniché sous un tas de poussière, dans le grenier de ma grand-mère, un vieux livre jauni et tout corné. Comme tous les enfants de mon âge, qui trouvent enfin l’occasion de transgresser un interdit, je l’ouvre avec impatience. Son titre, en premier lieu, aiguise ma curiosité : Le dernier des nôtres, et son auteur, inconnu. Il faut avouer qu’à mon âge, je ne connais guère que la comtesse de Ségur et Johanna Spiri. Ma grand-mère m’a prévenue : si tu caches l’un de ces livres sous l’oreiller, méfie-toi, je te mettrai la tête entre les 2 oreilles. Ça fait rien, répondis-je avec une certaine insolence, elle l’est déjà
Ma grand-mère, elle n’aime pas me voir lire, elle dit que ça déforme la pensée et que ça apprend aux petites filles des choses qu’elles ne devraient pas savoir. Elle préfère la grande musique et écoute en boucle la Damnation de Faust et l’Eroica de Beethoven. Je n’aime pas cette musique, elle me casse les oreilles et dure trop longtemps. Moi, je préfère la guitare magique de Frankie Presto, c’est beau et romantique et ça me parle.
Le dernier des nôtres, c’est l’histoire d’un marin, disparu en mer. Il était parti de St-Malo en novembre 1933 et il a coulé, lui et son équipage, au large des côtes anglaises par une nuit de grande tempête. On a retrouvé son corps au fond de l’eau 20 ans plus tard, mais ce qui intrigua la police, c’est qu’il portait sur le coup des traces visibles de strangulation. Une corde en décomposition fut d’ailleurs retrouvée non loin du lieu de la catastrophe, on supposa que c’était celle qui servit à le tuer.
Je trouvais ce roman assez glauque, mais en même temps il me plaisait, j’étais attirée par l’intrique, d’autant plus qu’à la moitié du livre (lu sous mes draps grâce à la fameuse lampe de poche, celle qu’ont connue tous les enfants de ma génération), j’appris que Loïc, le fameux marin, s’était amouraché en mer de la cuisinière, épouse d’un sous-lieutenant de bord très jaloux qui menaça de le tuer dès qu’il eut vent de l’idylle. En fait, le rapport de police, après de nombreuses investigations, conclut que les amants maudits étaient morts à bord du navire et non pas des suites du naufrage. Le corps de la cuisinière, ne fut pas retrouvé. On estima qu’en raison de son embonpoint, elle avait dû être rapidement dévorée par l’un de ces géants des mers que l’on rencontre fréquemment là-bas.
La fin des vacances arrivait, et je n’avais pas terminé mon livre ; je décidai ,malgré la petite voix cachée de ma conscience et à l’insu de ma grand-mère, de le dissimuler dans la poche-avant de la valise, pour le terminer chez moi. Je montai dans le train après avoir dit un grand merci à ma grand-mère pour ces bonnes vacances passées en sa compagnie. La fille du train, celle qui devait m’accompagner pendant le voyage, m’attendait sur le quai, elle m’accueillit avec un grand sourire, empoigna ma valise et nous prîmes place dans le TGV du retour.
Je ne saurai jamais la fin du roman. Quand je vidai ma valise, le lendemain, je me précipitai sur la poche où devait se trouver le fameux livre, mais elle était vide. Qui avait pu le voler ? La fille du train ? Ma mère, estimant qu’il n’était pas pour un enfant de mon âge ? Je ne posai, bien sûr, aucune question, sur l’origine de sa disparition, et pour cause. J’ai recherché partout sur Internet pour retrouver l’ouvrage, mais aucun livre ne porte ce titre. Je lance donc un dernier appel à mes lecteurs, s’i l’un deux le possèdent, qu’il me le fasse savoir en écrivant à mon éditeur. Un grand merci à vous.
PS Et si vous trouvez La cueilleuse de thé, de Chi Kong Li, je suis également preneuse.