Ça commence bien soupire Amélie.
Sur l'annonce qu'elle a rédigée sur blablacar elle a bien précisé que sa voiture est une Twingo. La vieille dame qui la regarde avec des yeux de merlan frits a au moins 4 gros bagages Vuitton qui l'entourent. La jeune fille inspire et tente un Tetris cornélien. Elle jure à voix basse, comment tout faire rentrer dans son coffre ? Elle pousse, elle soulève, elle renonce... Qu’est-ce qu'il fait chaud aujourd'hui. Elle ferme la malle et glisse tant bien que mal le dernier sac derrière le siège conducteur.
Pendant ce temps la vieille dame s'est glissée sur le fauteuil passager et attend patiemment le départ.
Amélie met ses lunettes de soleil et démarre.
- Nous devrions en avoir pour 3h. Je vous déposerai à la garde puis je continuerai vers l'Italie.
- Très bien. Allons-y.
La dame est courtoise et très élégante. Amélie éteint rapidement la radio avant que les décibels de skyrock n'envahissent l'habitacle. C'est sûr : Madame de doit écouter que RFM ou Nostalgie.
La première heure de trajet est ennuyeuse à mourir. Madame dort et ronfle même un peu. Amélie ricane. Elle s'en veut un peu. C'est son premier blablacar. De nature méfiante elle a choisi une passagère au "CV" rassurant: nom et âge politiquement correct. Pour éviter les ennuis ou les mauvaises rencontres.
Madame émerge de sa sieste. Elle sort une bouteille d'eau de son sac et se rafraîchit.
- Ferons-nous une pause ?
- Pourquoi pas. Je m'arrête à la prochaine aire d'autoroute.
- J'irai aux toilettes et j'achèterai un magazine pour le train.
- Vous allez où ?
Madame lui jette un regard curieux. Et voilà j'aurais mieux fait de me taire...
- À Versailles, chez ma sœur.
- Jolie ville s'exclame Amélie. J'y ai vécu 2 ans quand j'étais enfant. J’ai un très bon souvenir des grands boulevards qui rejoignent le château.
- Oui c 'est joli.
Le silence s’installe. Madame n'est pas causante... Amélie met son clignotant et se gare sur l'aire devant une station essence qui fait boutique et cafétéria.
- Je vais aux WC.
- Ok répond la jeune fille, je vais me chercher un café.
Elle se dégourdis les jambes et s'étire. Elle a eu son permis il y a 6 mois et les trajets un peu longs l'angoissent encore. Déficit de confiance. C'est essentiellement pour cela qu'elle a choisi de prendre un passager. Pas seulement pour le partage des frais.
Elle voit sa compagne de voyage sortir des toilettes et se diriger vers le stand à journaux. Elle est petite et maigre mais a un port altier. Élégante et bien habillée.
Amélie finit son café et se questionne sur les motivations de cette femme. Elle ne semble pas avoir de problème financier. Peut-être est-elle seule et a-t-elle besoin de compagnie ?
- Je n'attraperais jamais mon train si vous passez 20 minutes à boire un café...
Amélie bredouille : “Oui oui allons-y ! “
Mais c'est quoi cette mégère ?
Elle claque la portière et démarre dès sa passagère installée.
Une gentille mémé ? Plutôt une vieille bique. Elle se prend pour quoi avec ses grands airs. Elle a acheté quoi comme magazine ? Amélie jette un coup d'œil sur le siège arrière. Tricot tendance ?
Amélie déglutit : planète chasse sur les armes, 120 tests des meilleures armes à feu.
Ah oui quand même ! Amélie serre le volant et regarde devant elle. Elle jette un coup d'œil au GPS: plus que 1h20 et elles arrivent à destination. Elle accélère en respectant toutefois les limitations de vitesse. Ce n’est pas possible ! Elle est tombée sur une dangereuse psychopathe. Que peut-elle transporter dans ses sacs ? Couteaux, revolvers ? La jeune fille a chaud, elle a les joues toutes rouges. Elle se met même à prier.
Annie regarde ses mains nues, elle a levé ses bagues et les a cachées dans son sac. On ne sait jamais.... Il reste la moitié du parcours avant d'arriver en gare de Nice. Pourvu que tout se passe bien.
Elle regarde rapidement sa conductrice. Comment peut-elle supporter ces cheveux serrés et tressés ? C'est sale et ça doit gratter. Des dreadlocks: dégoûtant.
Elle est toute rouge en plus, elle doit faire un eczéma de chaleur. D’ailleurs elle a ingurgité un demi litre de café. C'est un excitant tout de même. De son temps on savait se modérer.
Elle avait l'air pourtant bien sur l’annonce : une voiture neuve, un seul passager. Une hippie moderne pas causante excepté pour poser des questions personnelles. Elle veut savoir où elle va ? Elle va la suivre pour lui voler ses affaires ? Ou son billet de train peut-être ? Les arnaqueurs inventent de ces trucs maintenant.
Elle serre son sac contre elle. Plus qu'une heure et elle sera à la gare. Elle aurait dû prendre le car mais elle a mal au cœur dans les transports, d’où son choix d’un covoiturage moderne. C’est l’idée de Sophie, la petite fille de sa voisine, dans sa bouche cela semblait une telle évidence et si facile. Annie l’a laissée télécharger l’application et faire les démarches. Dans sa tête elle pensait tomber sur une jeune fille comme elle. Pas une baba cool sortie de nulle part avec des tongs à pompons… Malgré la climatisation, elle a chaud et regarde l’horloge toutes les 5 secondes. Vivement que ce soit terminé. Elle pourra se détendre dans le train et oublier ce mauvais moment.
Les kilomètres défilent, Amélie a réussi à programmer discrètement une radio neutre qui comble le silence de l’habitacle. Elles entrent dans Nice et commencent à se détendre, le calvaire va prendre fin.
Amélie manœuvre avec application et arrête la voiture sur une place dépose minute devant la gare. Elle descend de la voiture... Tout en douceur et sans à-coups elle dépose les bagages de Madame sur un chariot de bagages. Madame sort discrètement son porte-monnaie et veut régler son trajet à Amélie, elle lui doit 15 euros. Elle n’a qu’un billet de cinquante euros. Elle grimace mais elle n’a rien d’autre.
- Je m’excuse je n’ai pas de monnaie.
- Aie ! Attendez je regarde dans mon sac. Ah zut, je n’ai rien. Vous savez ce n’est pas grave, gardez votre argent, j’aurais tout de même fait le trajet. Peu importe. Aurevoir et bon voyage.
Annie est estomaquée, la jeune fille lui sourit et lui fait un signe de la main en remontant dans la voiture. Elle l’aurait mal jugée ? Ce n’est pas une voleuse mais une petite jeune fille serviable. Certes avec des goûts capillaires contestables mais avec un bond fond. Elle pousse son chariot et entre dans la gare.
Amélie est soulagée, elle se tourne pour vérifier que son coffre est bien fermé avant de démarrer et ses yeux s’arrêtent sur le magazine que Madame a oublié. Elle le saisit et ouvre sa portière en cherchant des yeux sa passagère. Elle n’est plus là. Elle ne peut pas partir à sa recherche, elle doit libérer la place de parking.
Elle repose le magazine sur le siège passager. Son regard accroche le titre de la couverture : Le casse-tête de la succession Hallyday : guerre chez les stars. Elle le saisit et le retourne : la pub pour le magazine chasse et pêche est bien là : côté verso. Elle éclate de rire. Madame n’est pas une psychopathe, elle lui a créé un passé de mafieuse à cause d’une publicité de magazine. Mais quelle idiote…
Elle met son clignotant et reprend la route, sa petite Twingo sort la ville au moment où le train quitte la gare et prend de la vitesse.