Le capitaine-chat avait jeté l’ancre dans une petite ville portuaire branchée après bien des années passées sur les mers et les océans du monde entier. Ils avaient rapporté avec lui un gros poisson-crochet qui lui tenait compagnie dans un aquarium doré. Ils jouissaient enfin tous deux d’une retraite bien méritée.
Le plus souvent, le capitaine-chat passait ses journées confortablement installé dans son fauteuil persan, ses grands pieds posés sur un tapis de ministre, écoutant une symphonie de Beethoven, lisant des poèmes de Prévert ou alors remplissant frénétiquement des pages entières de mots-croisés portant uniquement sur le vocabulaire maritime.
Mais, un jour de printemps, son esprit espiègle aiguisé par un air frais à la fantaisie inhabituelle, il eut soudain envie de se sentir jeune à nouveau et partit pour une balade sur les quais en planche d’écoute, un casque à roulettes sur le crâne.
Guilleret d’une jeunesse retrouvée, désireux d’attirer le regard et pourquoi pas l’admiration, il avançait à vive allure sur le goudron de la promenade. C’est alors que, de sa poche, il perdit ses lunettes d’écailles, dans un tournant, sans y prendre garde.
Fort heureusement, une belle qui faisait son footing quotidien, tout de rose et de jaune fluo vêtue, aperçut la paire de lunettes tombée dans un fourré, la ramassa et suivit le sexagénaire pour découvrir où il créchait.
Ce n’est que quelques jours plus tard que la belle, entretemps douchée, pomponnée et recoiffée, mais néanmoins d’âge mûr elle aussi, sonna à la porte du capitaine-chat, lui rapportant son couvre-nez et lui donnant mille explications inutiles une fois invitée à entrer.
Depuis ce jour, la retraite du capitaine quitta son long fleuve tranquille pour se muer en une succession de sorties aux chandelles et de soupers coquins.