Le bonheur est une science
Pour le saisir,
Ne pas courir.
Un rien le fait fuir.
Surtout ne pas bouger.
Le laisser s’apprivoiser.
Savourer l’instant.
Tel l’écureuil
Sache en cueillir les miettes
Les noisettes
Pour passer l’hiver
Noisettes de bonheur :
Chavirer d’émois inéprouvés
Le printemps est adolescence,
Désordre et espérance.
Dans le grand silence glacé s’annonce
La débâcle de février.
Un rien, une tiédeur dans l’air,
La jaune bannière du premier crocus perçant la terre,
Le cri vert des bourgeons forçant l’écorce,
L’exquis enroulement des jeunes feuilles se dépliant comme des mains,
Promesses de lendemains.
Trisser avec les martinets cisaillant l’air
Dans les clochers encorbellés.
Vriller le ciel de rêves en volées…
Mais patience !
Surtout ne pas bouger.
Siroter l’été
Sous la treille, s’émerveiller du zonzon des abeilles ivres de pollen
Boire le soleil à grandes lampées dorées
Ecouter les sources chuchoter en catimini
Se laisser bercer, comme un bébé, par l’été
Laisser couler l’instant.
Surtout ne pas bouger
Rougir avec l’automne aux sumacs empourprés
Qui dit que l’automne est monotone ?
Parcourir les coteaux enflammés de brasiers multicolores
Ouvrir grands ses yeux
S’emplir des queues de paon des arbres triomphants offrant leur nuancier
Cueillir les dernières pivoines
Jouir des rayons déclinants, comme une bayadère s’alanguissant
S’épanouir
S’évanouir,
Interminablement…
Monotone, l’automne ?
Humer les riches flagrances de l’humus tapissé de mousses, de châtaignes, de feuilles amassées
Rêvasser aux romances de Cosma, de Verlaine, aux anciennes rengaines sans cesse ressassées
Aux amours mortes à la pelle ramassées
Aux violons qui sanglotent, repenser
Aux langoureux amants tendrement enlacés, aux amants de Doisneau qui jamais ne se lassent de s’embrasser
Laisser mûrir l’instant
Surtout ne pas bouger
S’étonner toujours du blanc velours des premières neiges calfeutrant les chemins
Entendre soupirer le chien devant la cheminée où craquent les derniers sarments
Poser sa joue au creux d’une main chère
Nul besoin de serments enflammés : s’aimer, tout simplement
Laisser s’éteindre lentement la paisible lumière
Dormir, avec l’hiver
Laisser mourir l’instant
Surtout ne pas bouger
Le bonheur est là.