P137 Josée - Bric à braques

« Ah la garce ! M’avoir planté là, comme un vieux clou rouillé, en plein salon ! Avec ma gueule en coin et mon air tordu, aucune chance de trouver preneuse, comme ma voisine de droite, toute déglinguée, que je ne peux pas encadrer…

-Dites-donc, soyez poli ! Déglinguée, moi ?... Bon, d’accord, au lieu de me faire la tête au carré, comme il se doit pour tout tableau de bonne race, on m’a mis la tronche en coin, mon cadre est de travers, j’en suis toute chavirée. Mais ce n’est pas une raison pour m’insulter, espèce de mal embouché !

-Mal embouchée, moi ! S’exclama la bouteille. Dites tout de suite que je pue de la gueule ! C’est pas parce que je n’ai rien à dire que je dois la fermer ! Et ne croyez pas que je baye aux corneilles, comme ce vieux croquenot qui gît dans la corbeille…

-J’en ai rien à cirer, de tes remarques avinées : moi je viens de la haute. Croquenot, moi ? Allons donc ! Une vraie claquette, oui madame ! J’ai appartenu à Fred Astaire, comme vous me voyez !

-Pouf, pouf, pouf, bulla la serpillère. Arrête ton cinéma, Ginger ! T’es un godillot, c’est tout, une star à la ramasse, tout comme l’autre, là-bas, avec sa gueule en coin, et sa voisine, l’inencadrable, et tout comme moi. Oh, j’en ai vu, des clous tordus, des croûtes invendables et des godillots crevés. J’en ai essuyé, des crachats, des avanies… On ne me la fait pas : au royaume des Misérables je suis Jean Valjean !

Eh, Jean ! Regarde, là-bas. Dans ce coin, là… Un vieux clou, juste de la bonne dimension pour ce tableau –est-il drôle, avec son cadre de travers !- Et cette bouteille anc ienne ! En a-t-elle contenu, du bon vieux vin d’antan ! Et cette claquette dépareillée ! Vous me faites un lot, madame ? Combien ? C’est cher ! Vous me faites cadeau de la serpillère ? C’est bon, je prends ! »

Et tous nos invendus, vendus, se firent la malle en chantant un vieux refrain de Boris Vian : « une tourniqueeeette/ à faire la vinaigreeeeette »