Madeleine admire rêveusement le lilas du jardin. Les rayons du soleil couchant caressent les frêles et odorantes petites fleurs blanches. Ses longs cheveux bruns entourent son fin visage légèrement rosé par la fraîcheur de ce soir d'Avril. Son corps était drapé d'une robe noire signée Chanel, faisant ressortir son hâle de méditerranéenne et ses formes pulpeuses et généreuses.
- Madeleine tu vas être en retard !
- J'arrive maman !
Ses hauts talons aiguilles s'éloignent à regret du jardin si prometteur de rêveries d'un soir.
Madeleine sourit. Elle a rendez-vous avec Jacques. Il lui avait donné rendez-vous ce soir, le front pâle, la lèvre tremblante et elle, elle a accepté. Dans le couloir menant à la porte d'entrée elle croise ses cousins Gaston et Joel qui la regarde d'un air désapprobateur. « S'ils savaient… »
Elle embrasse d'un baiser parfumé sa mère et s'engouffre dans la berline noire qui s'éloigne doucement dans un bruit de gravier.
- Richard vous me déposerez rue Saint Martin
- Bien Mademoiselle
Comme c'était facile, comme c'était grisant… Elle appuya son front contre la vitre et sous ses yeux clos elle chercha son visage. De courts cheveux blonds, un regard bleu électrique, un menton sauvage et volontaire. Ô Jean…
- Mademoiselle, nous sommes arrivés
Elle rouvrit ses yeux brusquement
- Merci Richard, bonne soirée
- A vous aussi, Mademoiselle
Et le cœur palpitant elle sortit de la voiture. Prudente, elle fit quelque pas en direction de son point de rendez-vous jusqu'à ce que Richard disparaisse de sa vue. Puis elle héla un taxi.
- Rue Henri IV, numéro j fonctionné ! Pas une seconde elle n'eut une pensée pour Jacques qui devait l'attendre, les bras chargés de lilas, tremblant d'amour. Non, elle ne pensait qu'à Jean, à cette soirée qui les attendait chez lui, à son regard bleu électrique…Oh bien sur c'était une soirée mondaine, il y aurait pleins de gens remplis de leur importance, oh bien sur il y aurait sa femme, Mathilde, si sage, si bonne, si aimable avec tout le monde, une vrai Mélanie Hamilton… Qu'importe, elle le verrait, il la verra. « Je veux que tu viennes petit cœur ». Que répondre à cela sinon oui.
Dans sa tête tout était décidé, planifié. Depuis la première fois où il l'avait tenu nue dans ses bras. Mais comme ils étaient tous deux issus de familles bien sous tout rapport, hors de question qu'il divorce. Alors elle avait décidé d'être son amante à jamais, pour toujours. Elle ne voyait pas cela comme un sacrifice mais comme un acte d'amour. Et puis elle n'aurait pas supporté qu'un autre homme la touche, elle ne comptait donc pas se marier, et se préparait à une vie d'attente, de vieille fille aurait dit sa grand-mère. Une fois ses études achevées, elle se ferait embauchée dans une grande maison de haute couture grâce aux relations de son père et prendrait du même coup son indépendance.
Elle s'y voyait déjà, dans son mignon appartement à attendre Jean qui viendrait la rejoindre au milieu de la nuit lui susurrer des mots d'amour. Elle ne voyait pas les longues soirées grises et solitaires, elle n'entendait pas le silence tonitruant que jamais le rire d'enfants ne viendrait recouvrir, elle ne voyait pas les déchirements de l'âme, la jalousie tordant le cœur et grignotant l'amour et la routine implacable qui assèche les transports de la passion, elle ne voit pas le regard peu à peu indifférent au fur et à mesure que le temps marque de sa griffe les corps et les cœurs. Non, elle ne voit rien de tout cela car elle l'aime, à la folie.
« Oui à la folie » dirent ses yeux quand elle le vit s'avancer vers elle au seuil de sa demeure. Et pour toujours…
Sous la pluie fine d'Avril, le Grand Jacques a jeté ses lilas fanés et s'en va tristement prendre le tram 33…