Il y avait du soleil dans la rue, la pluie venait de cesser et l’asphalte, éclaboussé de lumière, luisait comme un miroir.
Pas une voiture n’était venue briser cette harmonie, de légères volutes flottaient doucement au-dessus de la voie avant de disparaître sous l’effet de l’astre du jour.
Une douce chaleur envahissait peu à peu le jardin, on sentait l’odeur singulière que laisse une averse orageuse lorsque les premiers rayons réchauffent la terre.
Une brouette abandonnée, renversée sur le côté, comme si le jardinier venait de verser son contenu, barrait le passage qui menait à la cour arrière.
Le gendarme, en faction devant la maison, lui avait indiqué que le corps se trouvait près du cabanon et que la police scientifique était déjà sur les lieux.
Ce type d’affaire avait le don de le mettre de mauvaise humeur, surtout un dimanche après-midi. Il remarqua que l’herbe, qui lui arrivait aux chevilles, n’avait pas été tondue et l’on distinguait les traces de passage de ses prédécesseurs, il prit soin de les suivre scrupuleusement afin de s’assurer de ne rien toucher qui puisse effacer une trace, ou déplacer un cheveu, un morceau de tissus, un indice qui permette aux enquêteurs de comprendre ce qui c’était passé en ce 23 juillet de l’année 2014.
Arrivé au coin de la bâtisse, il vit les deux personnes en combinaison blanche, accroupis près du corps de la victime présumée.
Il s’approcha d’eux et après un bref salut il demanda s’ils avaient remarqué quelque chose de particulier.
Le premier des deux, se redressa, retira son masque blanc, ajusta ses lunettes et entrepris de lui donner les premières constatations ; Il s’agirait d’une femme dans la trentaine, pas de blessure apparente, ni de trace de lutte, la mort semble dater de plusieurs heures, la pluie pourrait avoir effacé certaines traces mais ils collectaient tous ce qu’il pouvait servir de preuve, l’analyse biochimique devrait donner plus d’information. Son compte rendu terminé, il retira ses gants de caoutchouc et entrepris de quitter sa combinaison, puis ramassa ses ustensiles et posa sa main sur l’épaule de son acolyte, encore accroupi l’appareil photo en position, lui indiquant ainsi que leur travail était terminé sur le site.
Une fois seul, l’inspecteur resta immobile durant de longues minutes, analysant la scène afin de s’imprégner de l’ambiance, puis il se déplaça autour de celle-ci et l’examina sous tous ses angles, il sortit de sa poche son cellulaire, fit quelques photos et afficha l’enregistreur, ensuite il s’accroupit, regarda avec attention le corps de la jeune femme et commença à dicter ses propres constatations.
– 23 juillet 2014, 15 h 35, au 23 rue de la Romance, la victime, Béatrice Vian, une femme dans la trentaine, cheveux bruns, mi long, légèrement vêtue, allongée sur le ventre dans l’herbe devant le cabanon de jardin dont la porte est restée ouverte, comme si elle se dirigeait vers celui-ci ; Aucune marque de lutte, pas de blessure apparente, seules quelques traces noires sur la jambe gauche ressemblant à de la suie...
Troublé par la douceur apparente de la peau de la victime, il interrompit sa diction, se pencha pour l’examiner de plus près et en conclut que les jambes de la victime avaient été épilées récemment, peut-être le matin même, les ongles des pieds étaient parfaitement taillés et luisant, ce qui lui fit penser que cette dernière portait un soin particulier à son apparence.
Une légère odeur de citron émanait du corps, était-ce les vêtements ou le corps ?
Il se retourna pour vérifier que personne ne l’observait puis se mit à genoux afin de respirer cette odeur au niveau du mollet gauche et détermina ainsi que Béatrice Vian, c’était parfumé ou avait pris un bain parfumé au citron.
Il resta quelques secondes dans cette position les yeux fermés et essaya de se l’imaginer prenant son bain tout en s’épilant les jambes.
Le bruissement de quelqu’un qui marche dans l’herbe le fit sursauter, il se redressa prestement, frotta ses genoux pour enlever les traces d’herbe mouillée et se retourna pour accueillir l’arrivant.
Celui-ci n’était nul autre que le gendarme qui, ne voyant revenir l’inspecteur, se demandait s’il devait clôturer l’accès à la scène afin d’éviter les curieux et les badauds durant la nuit.
Bedonnant, dans un uniforme défraîchit, rembourrait aux coudes, il arrivait d’une démarche chaloupée tout en dégustant un œuf dur, difficile de ne pas remarquer la miette restée collée à la moustache.
L’inspecteur lui fit remarquer, gêné, le gendarme sortit immédiatement un mouchoir en tissus de sa poche et s’essuya rapidement en avalant la dernière bouchée.
– Veuillez m’excuser, j’ai été appelé sur les lieux et je n’ai pas eu le temps de manger avant de partir.
– Vous n’avez pas à vous excuser, je comprends, nous sommes un dimanche, vous deviez être de réserve ?
– C’est exact inspecteur, les autres ont été appelés sur un accident de la route.
– Malheureusement les mauvaises affaires n’attendent pas le lundi, bref faites en sorte que
personne n’approche tant que je n’ai pas terminé, est-ce que l’ambulance est arrivée ?
– Affirmatif !
– Faites les patienter.
Sur ces entre-faits, le gendarme quitta les lieux laissant l’inspecteur seul avec la victime.
Il fit le tour du corps et visita le cabanon, c’est là qu’il vit un bocal d’olives vertes ouvert sur le comptoir servant au jardinage, en voyant la goutte de saumure partiellement séchée sur le bois, il en conclut, en passant le doigt dessus, que celui-ci avait été ouvert sur l’heure de midi, donc la mort ne pouvait avoir eu lieu que vers cette heure-là.
Il se retourna et remarqua le bras droit de la victime, celui-ci était replié sous la poitrine alors que la main gauche semblait agrippée à l’herbe, comme si elle luttait contre la souffrance ou pour ne pas être emportée. L’herbe était écrasée et un creux était visible au niveau de la pointe des pieds, comme si dans sa mort la victime s’était raidie et les doigts de pied avaient gratté le sol.
La bouche ouverte, les yeux légèrement exorbités, te teint blafard, comme si elle avait été étouffée.
Surpris par ce constat, il reprit son dictaphone, termina son rapport préliminaire et s’en retourna poser quelques questions aux voisins immédiats, au passage il fit signe aux ambulanciers d’évacuer le corps.
Son enquête terminée sur les lieux, il prit la direction de son bureau, sa fin de semaine étant foutue, autant commencer à ouvrir le dossier.
Cette affaire ne sentait pas bon à bien des égards, il n’y avait aucun mobile connu, c’était une personne sans histoire, il n’y avait pas d’effraction ni de vol et pas de trace de violence. Alors de quoi était-elle morte et pourquoi ?
Ce soir-là il eut du mal à s’endormir, tant il avait de questions.
Lundi matin, en arrivant au bureau, il se dirigea directement vers le laboratoire d’analyse et
d’investigation, les deux enquêteurs étaient déjà sur place avec le médecin légiste, celui-ci l’accueillit avec un large sourire et lui montra entre ses doigts ce qui avait provoqué la mort de la victime par asphyxie ;
– Une olive ? J’aurais dû m’en douter et dire que je n’ai pratiquement pas dormi de la nuit.
– Toutes les affaires ne sont pas criminelles inspecteur, vous pouvez retourner vous coucher.