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Cela fait au moins une heure qu’elle attend. Il doit la rejoindre dans le jardin, en toute discrétion. Elle a la chair de poule et elle frotte la peau nue de ses bras. Il croit que c’est facile de s’échapper ? Encore dix minutes et elle s’en va, tant pi pour cette fois-ci, il attendra le prochain rendez-vous sous le mimosa. Quelle blague cette histoire songe Angie en trépignant sur place, on se croirait dans un des mauvais livres que lisait sa grand-mère : une jeune fille, un jeune homme, une nuit étoilée et une rencontre secrète. Sur le papier cela semble romantique, dans la réalité il fait froid…

Elle entend la porte de la bâtisse qui s’ouvre en grinçant. Vite, elle allume une cigarette et laisse la fumée s’évaporer. Des pas crissent dans le gravier.

- Angelina tu es là ?

- Oui, par ici…

- Tu ne devrais pas sortir toute seule comme cela, les alentours ne sont pas surs.

- Excuse-moi, l’envie de fumer et de prendre l’air.

- Je comprends, les choses sont compliquées, l’atmosphère tendue mais cela ne vas pas durer ne t’en fais pas.

- Si tu le dis.

Angie se détourne en faisant la moue. Son interlocuteur lui lance un regard noir.

- Tu ne devrais pas faire la fine bouche. Les affaires sont les affaires et si cela ne te conviens pas, libre à toi d’aller faire la vendeuse à la supérette du coin, au lieu de faire la châtelaine frissonnante avec tes grands airs.

Le ton est cinglant, Angie sait que sa marge de manœuvre est étroite. Il faut calmer le jeu à tout prix.

Elle se retourne avec des yeux brillants et la bouche qui tremble.

- Tu ne comprends donc pas que je m’inquiète sans cesse pour toi ? J’ai peur quand tu sors de ne jamais te revoir, j’en suis à trembler à chaque bruit…

L’homme se laisse attendrir et sort un mouchoir pour essuyer les larmes de la jeune fille désolée.

Il prend un ton bourru mais il est attendri.

- Tu ne dois pas sortir et rester planquée. La bastide doit rester l’image d’une maison abandonnée, traversée par le vent et envahie par les chats sauvages.

Angie acquiesce, sèche ses larmes factices et se laisse entraîner vers la maison. Elle aperçoit brièvement un rayon de lumière derrière le chêne de la cour. Elle fronce les sourcils ! Zut, Paul est arrivé. Il est en retard. Impossible de ressortir maintenant sans que José ne se mette vraiment en colère. C’est bien trop risqué.

Assise sur un bord de canapé usé, elle gratte du coin de l’ongle la couture qui part en lambeaux, elle songe à Paul, dehors, qui l’attend. Elle lui en veut, elle en veut à l’homme qui parle au téléphone dans la cuisine, elle s’en veut d’être coincée là.

Soudain, elle entend un léger coup sur la vitre, elle se retourne, tétanisée… Paul lui fait un signe et un clin d’œil. Elle se fond quelque seconde dans son beau regard bleu puis reprend ses esprits. Il est fou ? José va les tuer tous les deux s’il les surprend maintenant.

Paul redevient sérieux et lui désigne un coin de la cour où sont jetées les ordures. Puis il lui envoie un baiser du bout des doigts et disparait dans la nuit.

Elle est outrée : non seulement il ne vient pas à l’heure mais il lui demande aussi de prendre des risques déraisonnables. José est un homme jaloux, méfiant et dangereux. Il est capable de les enterrer au fond du jardin s’il se sait trahi.

Elle se dirige vers la cuisine et y pénètre, José marche de long en large, préoccupé. Elle tend l’oreille et range les restes du diner. Il est encore question d’une assurance manquante, d’un échange incertain. Elle soupire, pas de nouveauté, cela fait des semaines que rien ne se passe.

Elle remplit la poubelle de tout ce qu’elle trouve de volumineux le plus discrètement possible. Elle a envie de voir Paul, de renouer avec la vraie vie, celle où les journées ne sont pas monotones mais pleines de rebondissements et d’adrénaline. Ils partagent des moments si forts tous les deux, des fous rire inappropriés qui ont créé leur complicité, des nuits froides et glacées serrés l’un contre l’autre à partager un café et une cigarette à la lueur de l’aube.

Elle chasse sa morosité et ferme d’un coup sec les ordures. Sans un regard pour José, qui converse à voix basse espérant peut être lui cacher ses secrets de polichinelle, elle pousse la porte de la cuisine et traverse la cour. Elle contourne une Quatre-chevaux rouillée et se débarrasse de sa poubelle.

Elle ne l’a pas entendu, en une seconde il est apparu derrière elle et la prend par la main, l’attirant dans l’ombre.

Ils se taisent, l’un contre l’autre, guettant un bruit dans la cour.

Rassuré par le silence Paul se met à chuchoter :

- Alors qu’as-tu à me dire ?

Angie se renfrogne, pas une excuse pour son retard ou les risques pris pour le rejoindre. Elle lui répond agressivement :

- Rien, excepté que tu vas nous faire tuer ! José est à cran, il est incapable d’écouler les objets en sa possession et devient paranoïaque.

Cela fait rire Paul en silence.

- Tu as vraiment choisi le looser de l’année. Tu es vernie.

- Ravie que cela te fasse rire : en plus d’être la poule d’un raté je suis assez bête pour risquer ma vie en venant te rejoindre.

- Ben alors mon Angie ! On se reprend. Hauts les cœurs ! Tu sais bien que nous n’avons pas le choix ? Tu ne peux pas partir maintenant.

Angie baisse la tête, elle sait parfaitement le sermon qui va suivre. Elle n’a pas envie de l’entendre : elle voulait juste du réconfort, une fenêtre entrouverte sur une vie normale et l’assurance d’être attendue.

Elle a cru entendre un bruit, elle pose ses doigts sur les lèvres de Paul. Il s’éclipse dans l’obscurité avec un doux sourire encourageant.

Elle regarde la bâtisse et voit la silhouette de José dans la cuisine, le pas lourd elle retourne à l’intérieur.

Elle n’a pas franchi le seuil que José la prend dans ses bras. Quel contraste avec la douceur de Paul pense-t-elle avec amertume.

- Ça y est Angelina, notre calvaire touche à sa fin, nous allons avoir la grande vie !

Angie feint le soulagement puis l’inquiétude :

- Cela n’est pas risqué cette fois-ci ? Tout va bien se passer ?

- Ne t’en fais pas, demain soir tout est terminé.

Il se frotte les mains avec satisfaction.

Attendons de voir si cette fois est la bonne, et non une piste sans issue comme les cinq ou six dernières fois…

Angie laisse José à son enthousiasme enfantin, elle lui fait signe qu’elle va se coucher.

En fermant les yeux elle songe au jour où elle a postulé pour l’OCBC. L’office central de lutte contre le trafic d’objets d’arts est devenu depuis sa véritable maison. Paul, son coéquipier, est un ami de confiance et elle peut être fière d’être le seul des trente agents qui composent la brigade à être infiltré au plus près du danger.

Non elle ne doit pas se laisser gagner par le pessimisme, José va finaliser sa vente, Angie va prévenir Paul sous le mimosa et la brigade va être couronnée de gloire pour avoir arrêté un trafiquant notoire.

Non grand-mère, les rendez-vous au clair de lune des temps modernes ne sont plus tels que tu les imaginais.

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