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Sagouin !

Ce mot résonne au plus profond de moi.

C'est mon mot préféré. Il m'appartient depuis toujours. Il me renvoie à mon enfance, à mon passé, à ce qui m'a construite. Il me fait sourire, me réchauffe, me rassure.

Pourtant, je ne l'emploie que très rarement et même pratiquement jamais. Je préfère le garder en moi, ne pas trop l'éparpiller, ni le gaspiller. Je le confie à l'oral seulement à ceux que j'aime.

Et puis, ce mot ne peut pas être utilisé à tout bout de champ. Il est souvent mal perçu. Il reste ainsi sacré. Comment une personne, qui ne me connaît pas, peut-elle comprendre, si je la qualifie de sagouin, que je l'aime ou que je la respecte ?

Le dictionnaire donne la définition suivante : « Petit singe, ouistiti. » Si cette définition s'arrêtait là, cela me conviendrait presque mais elle se poursuit ainsi : « Enfant sale, personne malpropre ou grossière. » Là, je ne suis plus d'accord. Si j'avais la possibilité de corriger une définition du dictionnaire, je le ferais pour celle-ci. Je dirais : « Enfant espiègle, malin qui recherche l'attention des adultes et leur affection. »

J'ai grandi avec ce mot. Il m'était familier avant même de savoir le lire et de comprendre sa signification.

Seule ma mère l'employait. Elle y mettait dedans tout son amour, sa personnalité, sa tendresse, son humour, sa générosité, sa spontanéité et sa joie de vivre.

Pourquoi ce mot sortait-il de son cœur ? Pourquoi lui en particulier ? Je l'ignore. Je n'ai jamais songé à le lui demander. L'avait-elle, elle aussi, reçu en héritage ?

Curieusement, n'ayant eu pourtant que des filles, elle ne le mettait jamais au féminin. Par conséquent, moi aussi, je l'utilise exclusivement au masculin. Ce mot, c'est un bouquet, un feu d'artifice, un festin, un royaume, un trésor, une vie entière.

Quand l'une de ses trois filles faisait une plaisanterie la faisant rire, elle la dénommait immanquablement de « sagouin » suivi d'un grand sourire.

Sans savoir ce qu'il voulait dire vraiment, je le sentais chargé de tendresse et d'amour. J'essayais alors à mon tour de le provoquer par mes blagues. Lorsque ma mère me disait enfin : « Sagouin, va ! » c'était la preuve ultime de son amour immodéré. J'étais reconnue, adulée.

Je me souviens ainsi d'une journée de rangement. Mes deux sœurs et moi devions, avec notre mère, trier tous les vieux vêtements entreposés au grenier. Les « plus mettables du tout » m'étaient destinés. Je leur ôtais les boutons pour les mettre ensuite dans une belle boîte en fer. Je devais avoir 7 ou 8 ans. Munie de petits ciseaux, j'enlevais un par un ces précieux boutons multicolores et de formes variées. Ma mère a eu chaud. Elle a enlevé son gilet. Lorsqu'elle l'a remis, elle n'avait plus la possibilité de le fermer. J'ai eu droit à mon plus beau « sagouin » et à un fou rire qui revenait à chaque fois que cette histoire était évoquée.

Quelle ne fut pas ma surprise ensuite, adolescente, de tomber par hasard, dans une librairie, sur le roman de François Mauriac : « Sagouin » ! De le voir sur la couverture d'un livre choisi par un écrivain aussi célèbre me prouvait l'importance de ce mot. Je m'empressais d'acheter cet ouvrage. Malheureusement, le mot sagouin du roman ne correspondait pas au mien. Il était utilisé pour une histoire totalement opposée. Dans ce roman, les adultes sont égoïstes et jaloux. Ils méprisent l'enfance. Ma mère était tout le contraire. Elle donnait sans jamais chercher à recevoir. Elle aimait, protégeait et partageait bien au-delà de ses propres désirs, de sa vie, même.

18 ans après sa mort, je la revois encore prononcer ce mot. Il a, pour moi, plus de valeur que tous les autres réunis.

Quand à mon tour, je l'ai adressé à mes propres enfants, il était toujours aussi lourd de sens. C'était un moyen par lequel je pouvais les relier à leur grand-mère qu'ils n'ont malheureusement à peine connue.

Quand je l'entends prononcer au hasard d'une phrase, même s'il ne m'est pas destiné, je souris alors de toutes mes dents. Et là, pour le coup, par ce grand sourire éclatant, je pourrais être comparée à un ouistiti. Je suis peut-être encore, ce sacré petit sagouin !

Tag(s) : #Textes des auteurs
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