P17 Domi : Poupée de chiffon

Je l'avais appelée Martine. Elle avait la tête un peu aplatie, le front large.
Des bruits ont couru - et continuent de courir - qu'on se ressemble elle et moi...
Quelle idée ! Je n'en crois rien.

Je sais seulement qu'elle était "tout" pour moi.
Mon refuge, mon amie imaginaire, ma confidente.
L'épaule contre laquelle je m'endormais, l'odeur qui me rassurait.

Aujourd'hui je la regarde....
Et c'est un puits de tristesse.

Je me souviens de l'école. Et c'est la solitude.
L'horrible manque de maman.

Et - toujours - l'impossible retour.
Impossible pour moi de passer devant une école primaire sans être jetée dans la même prison, le même étouffement, le même enfermement.
Le même ennui aux couleurs trop sages de platanes...

Maintenant que j'y pense... oui, c'est vrai, je le reconnais, elle me ressemble un peu.
C'est tellement étrange. Par quel tour de magie cela est-il possible ?
O ma poupée, as-tu pris une partie de mon âme ?
Toi qui as tant et tant pleuré avec moi...
Toi qui étais mon double, mon "moi", mon "sur-moi" peut-être, qu'en sais-je...

Je t'ai laissée chez maman. Que vas-tu devenir ?
Je te regarde, sans complicité, fixer éternellement l'avenir, là, devant tes beaux yeux expressifs.
Que vois-tu ?
Toi, mon passé révolu...
Toi, reléguée dans le monde des souvenirs.
Des images, et des vagues regrets...

Je ne connais pas grand-chose de l'enfant que j'ai été.
Je suis à moi-même aussi énigmatique et étrangère que cette vieille poupée, plutôt disgracieuse...

Je ne suis qu'un maillon de la chaîne, une petite fille vieillie parmi les autres petites filles...
Toutes ces petites filles qui continuent de jouer aux patins à roulettes dans la même fontaine du Sacré-Coeur quand elle est à sec....
Je pourrais être celle-ci, ou celle-là...
La vie tourne...
Je ne suis qu'une passante.

Tourne et m'entraîne...

Je suis une poupée de chiffon.
Jetée dans la danse.

Dans la ronde du temps.