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Conte de Noël

 

Le père Noël secoua la neige qui saupoudrait de blanc sa grande cape rouge vif, regarda son igloo pour la dernière fois et fit signe à son renne de tête de faire démarrer le traîneau :

"Je suis trop vieux pour supporter une autre saison sous un climat aussi rude. A mon âge, j'ai besoin de chaleur, à moi le soleil ! Allez, en route !".

 

Il quitta pour toujours son fribourg natal et arriva dans une contrée plus au sud, au bout de plusieurs mois de voyage. Là, il s'installa sur les hauteurs, dans une grotte retirée des regards (eh oui, c'est le destin du père Noël), habitée de nombreux palangrottes, nopes et griannaux, ces oiseaux nocturnes bien connus pour le brouhaha de leurs cris, quoique totalement inoffensifs.

 

"Au moins ils me tiendront compagnie" se consola le père Noël, qui entreprit aussitôt de changer sa garde robe. Il avait tellement chaud qu'il se mit entièrement nu, se contentant de se pagnoter d'un simple morceau de tissu qu'il trouva dans ses bagages. Il se fit une litière de son ancienne cape andaineuse et chaude à souhait, qu'il posa à même le sol. Il se sentit revivre comme un gamin à l'idée de dormir par terre ! Tout heureux, il grimpa ensuite plus haut sur la colline et se confectionna une nouvelle cape, légère et soyeuse, sorte d'herbeline qu'il tissa avec les herbes les plus longues qu'il put trouver à cette altitude.

 

Il avait récemment troqué ses rennes contre un vieil huque, un hibou vénérable réputé pour ses dons de voyance, dont il était très satisfait :

" Il me sera très utile pour lire mon courrier, mes yeux ne veulent plus rien savoir…", se félicitait le vieux père Noël, qui avait le sens des affaires.

 

Au premier Noël qu'il eut à honorer, il commença à faire le tri des milliers de lettres qu'il avait reçues, aidé de son fidèle huque. Celui-ci lui tendit une lettre qui, selon lui, devait attirer l'attention du père Noël.

 

— Il s'agit d'un adulte, ce qui est peu banal, déclara le vieil hibou.

Et, d'après l'écriture, je peux même affirmer, bien que le prénom n'ait pas été précisé, que cette personne est du sexe féminin.

 

A ces mots, le père Noël fit un bond sur son siège, ce qui intrigua fortement le vieil huque :

 

— Intéressant.... pensa tout haut ce dernier.

— Quoi ? Qu'est-ce qui est intéressant ? demanda le père Noël, dont les joues étaient devenues toutes roses.

— Heu...cette lettre ! C'est une étrange et bien intéressante lettre.

Cette femme - enfin, s'il s'agit bien d'une femme - apparemment d'un certain âge, fait un pari avec vous.

— Avec moi ? cria le père Noël en se levant pour de bon.

— Oui, elle vous demande une chose... hélas, une chose pratiquement impossible…

— Quoi ? Rien n'est impossible au père Noël, voyons ! rétorqua le père Noël, outré. Et de quel pari s'agit-il ?

— Cette femme dit que si vous lui apportez ce qu'elle demande, elle croira à nouveau en vous, comme lorsqu'elle était enfant… et qu'elle croira à nouveau… en la vie !

— Mon dieu !... cria le père Noël, tout ému. Et alors, quelle est cette chose ? Vas-tu parler à la fin ?

— Et bien, c'est… c'est un ozalid !

— Un ozalid ? Voyons, voyons, cela me dit quelque chose... Ne serait-ce pas cette pierre miraculeuse que personne n'a jamais trouvée ? Et aux pouvoirs secrets que personne n'a jamais élucidés ?

— Vous voyez, je vous l'avais bien dit… c'est impossible...

— Mon bon huque, je t'en prie ! Toi qui sais tout, dis-moi où je pourrais en trouver un !

— Ce n'est pas aussi simple, hélas. Il s'agit d'une très vieille légende, certains prétendent que cette pierre précieuse n'a même jamais existé…

— Balivernes ! Bien sûr que cela a existé, puisqu'on est en train d'en parler, tous les deux, voyons, voyons !

 

Le vieil huque regarda malicieusement le vieux père Noël et sourit devant son inébranlable foi.

 

— Et bien soit ! Nous partirons à sa recherche dès demain !

— Oh, merci, mon ami ! Je sens que nous allons bien nous entendre toi et moi. Dis-moi maintenant, qui est cette femme ? Où habite-t-elle ? Je veux tout savoir !

— Tout doux...! J'ai l'adresse, je pars de suite. En moins de deux heures vous saurez tout sur elle, comptez sur moi !

 

Le vieil huque ouvrit ses ailes de toute leur envergure et disparut de la vue du père Noël en souriant de tout son bec : "Le père Noël est amoureux ! Le père Noël est amoureux !", chantonnait-il pour lui-même.

 

Quand il revint, exactement deux heures plus tard comme il l'avait promis, son visage était grave.

 

— Alors ? s'enquit le père Noël sans laisser souffler le vieil hibou.

— Alors… hou, hou... attendez un peu… alors voilà. C'est une personne très déprimée, très seule… plutôt âgée…

— Agée ? Quel âge à peu près ? Et au fait... c'est bien une femme ?

— Oui, oui, une femme.... Et je dirais, environ vôtre âge...

 

A ces mots, le père Noël se laisser tomber dans son siège et devint rouge comme son ancienne capeline, ce qui amusa beaucoup le vieil hibou...

 

— Nous l'aiderons ! rétorqua aussitôt le père Noël. Nous trouverons l'ozalid et elle renaîtra à la vie ! Couchons-nous vite pour nous réveiller aux aurores ; demain, la journée sera rude ! Bonsoir mon bon ami !

 

Le lendemain matin, le père Noël se leva le premier. Jamais il n'avait connu pareille excitation ! Il prépara le petit déjeuner et ramassa ses affaires. Il était paré comme pour un combat, affublé de la ceinture que lui avait donnée son propre père, cette très ancienne ceinture pourvue d'une itague en forme de croix. Il y glissa religieusement son scramasaxe, cette épée plus ou moins magique qu'il tenait de ses ancêtres et dont il n'avait encore jamais eu l'occasion de se servir.

Mais cette fois, c'était différent. La quête promettait de s'avérer vraiment périlleuse, il fallait être prudent.

 

Ayant passé la nuit à réfléchir et à consulter les cartes, le vieil hibou arborait une mine épouvantable.

 

— Je crois que j'ai une petite idée de l'endroit où se trouve la pierre… finit-il par déclarer d'un ton ostentatoire.

— J'en étais sûr ! Comme j'ai bien fait de te faire confiance ! l'interrompit son compagnon. Je te suivrais les yeux fermés, mon ami ! En avant!

 

En chemin, ils s'arrêtèrent pour se restaurer un peu, mais comme le père Noël avait complètent oublié de prévoir ce genre de détails, l'huque se dévoua, bien que ce ne soit pas dans ses habitudes de chasser en plein jour. Il repéra une civadière sur laquelle il s'abattit plus vite que son ombre, et en ramena une civette, complètement sonnée sur le coup, qu'il acheva d'un coup de bec. Ils durent s'en contenter bien qu'elle fut minuscule et à peine cuite, tellement le père Noël montrait d'impatience à tout ce qu'il faisait, mourant d'envie de repartir.

 

 

Ils descendaient à présent à l'intérieur d'un sinistre ravin, inhospitalier au possible. Le soleil n'y pénétrait jamais, et le père Noël repensa en frissonnant à son ancien village. Les calculs du vieil huque prédisaient qu'ils approchaient de l'endroit où devait se trouver le dernier ozalid connu sur la terre, et le père Noël se félicita d'avoir confectionné son herbeline qui lui permettait à présent de ramper sans être aperçu, se confondant admirablement avec la couleur de l'herbe.

 

Le vieil hibou devait redoubler de prudence car les corbeaux hantaient lugubrement le lieu, comme pour dégoûter toute personne de s'attarder davantage. Cela ne faisait que renforcer les deux compagnons dans leur certitude d'avoir trouvé ce qu'ils cherchaient. Enfin, l'huque se mit à tournoyer au dessus d'un taillis de ronces en poussant des cris étranges, ce qui permit au père Noël de localiser l'entrée d'une petite grotte, quasiment invisible.

 

Il vit alors les rogommes, les deux malards effrayants qui servaient de gardiens : les yeux enfoncés dans leurs orbites, une expression de délitescence sur le visage, la peau couverte de fébricules et d'ergastules toutes plus répugnantes les unes que les autres ! Par chance, leur bêtise semblait égaler leur cruauté et les deux compères eurent vite fait d'élaborer un plan. Il suffît au vieil hibou de laisser tomber de très haut une grosse pomme de pin sur la tête du plus petit, pour que le plus grand quitte son poste sur le champ à la recherche de l'intrus, laissant l'entrée de la grotte sans surveillance.

 

Le père Noël s'y engouffra avant que le premier gardien n'ait eu le temps de revenir à lui, et ce qu'il vit alors, l'éblouit totalement… Une lumière intense, multicolore, illuminait la grotte : l'ozalid ! On ne voyait que lui, posé sur un socle de pierre, une roche blanche et fine qui flottait sur une petite étendue d'eau. Subjugué, envoûté, le père Noël oublia les recommandations de l'huque, s'approcha, comme aimanté, se pencha au dessus de l'eau pour saisir la pierre….

 

A cet instant, le vieil huque, plus rapide que l'éclair, s'empara à sa place du diamant, faisant sursauter son ami :

 

— Qu'alliez-vous faire ? Un centimètre de plus et un éboulis de cailloux se dérobait sous vos pieds, vous engloutissant dans le néant ! cria le hibou, affolé à l'idée de ce qui aurait pu se produire s'il n'était arrivé à temps. Vous m'avez fait une de ces peurs ! Heureusement, l'inqueresse diabolique qui a mis au point ce piège n'a pas pensé qu'un oiseau pourrait un jour s'emparer de l'ozalid, sans avoir à marcher sur la trappe fatale !

 

— Oh merci, mon ami ! Tu m'as sauvé la vie ! J'étais sous le charme de la pierre, j'ai oublié tes précieuses recommandations, que pourrais-je faire pour me faire ramender ?

— Mais rien, bien sûr, je vous pardonne de bon coeur ! lança l'huque, heureux et soulagé. Rentrons vite avant que l'ogresse ne s'aperçoive de la disparition de l'ozalid !

— Et les deux horribles rogommes ? s'enquit le père Noël.

— N'ayez crainte, tous les deux assommés pour un bon bout de temps ! se vanta le vieil hibou.

 

 

 

Le père Noël attendit le soir de ce Noël - très spécial - avec une fébrilité qu'il ne se connaissait pas. Il voulait absolument que la maison de la vieille dame soit la dernière de sa tournée, ce qui lui sembla une éternité.... Devant la demeure de cette dernière, jolie et proprette, il regarda la silhouette féminine par la fenêtre, triste de ne pouvoir lui apporter plus rapidement cette joie. La dame âgée semblait en effet si solitaire... regardant dans le vide, souriant aux anges, parfois, ce qui faisait délicieusement battre le vieux coeur du père Noël...

 

Quand il eut la certitude qu'elle était enfin couchée, il grimpa sur le toit, poutrepaillé avec soins, et se laissa glisser doucement par la cheminée qu'il trouva fort propre elle aussi, ramonée à la perfection.

 

Il posa au pied de l'âtre le mystérieux ozalid, enveloppé dans un papier cadeau qui laissait passer la lumière vive de la pierre, et regarda autour de lui. Son cœur se serra. Quelle douceur se dégageait de ce petit décor chaleureux et féminin ! Que lui arrivait-il ? Non, décidément, il n'aurait pas la force cette fois de repartir sans avoir assisté au bonheur de cette si gentille femme devant son cadeau. Il décida alors de rester, projetant de se cacher dès que la dame serait réveillée.

 

Il s'installa dans un fauteuil, au risque de s'endormir et de se faire découvrir ; ce qui pouvait lui être fatal…

 

 

Quand il se réveilla en sursauts, il vit la vielle dame qui lui souriait, accoudée à la table, rayonnante dans une magnifique robe de chambre rouge qui lui fit penser à son ancienne cape.

 

Il se tata le torse, puis les bras, les mains et s'exclama :

 

— Mais…. je vis ?

— Oui, bien sûr ! répondit la voix chevrotante de la vieille dame.

— Un être humain m'a vu, et pourtant je n'ai pas disparu... ? Que se passe-t-il ?

 

A ce moment, un petit coup de bec toqua à la vitre et le père Noël vit le vieil huque, cherchant manifestement à lui dire quelque chose.

 

La dame se précipita pour lui ouvrir.

 

— Bonjour, qui êtes vous ? demanda-t-elle en toute simplicité.

— Il est mon ami ! intervint le père Noël.

— Je viens vous dire au revoir, père Noël, dit le vieil hibou. Votre mission est terminée. La relève des pères Noël est assurée, soyez tranquille. Si vous le désirez, vous pouvez rester parmi les humains puisqu'une personne a pu vous voir avec les yeux de l'amour.

— Les yeux de l'amour ? répéta, tout étonné, le père Noël.

 

La vieille dame rougit très fort tandis que les deux amis se tournaient vers elles.

 

C'est alors que le père Noël chercha du regard l'ozalid. Celui-ci avait disparu.

— Mais où est l'ozalid ? demanda le père Noël à la dame. Où est la pierre que je vous ai apportée, celle que vous aviez demandée pour croire à nouveau au père Noël et en la vie ?

— Quelle pierre ? interrogea la vieille dame.

 

Devant le visible et sincère étonnement de celle-ci, le père Noël fixa intensément l'huque, qui prit aussitôt un air gêné et coquin :

 

— Mais oui, quel ozalid ?... Je ne vois vraiment pas de quoi vous voulez parler ! scanda plusieurs fois le vieil hibou, en s'envolant dans un petit rire.

Tag(s) : #Jeux littéraires
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