HS Paul - Le conte

Il était une fois un petit garçon qui rêvait de devenir grand. Il rêva tant de fois qu’il grandissait, qu’il arriva à l’âge de ses quinze ans, sans avoir profité de son enfance.

Cet enfant de quinze ans, maintenant, rêva de devenir un adulte pour, pensait-il, profiter des joies de la vie et de cette liberté d’agir qu’il en-viait aux adultes. Ainsi, songeait-il encore, il pourrait fuir les contrain-tes quotidiennes d’une vie familiale trop limitée. Il rêva et rêva encore de cet âge d’adulte, tant et si bien qu’il y arriva sans jouir de son ado-lescence.

Une fois adulte, il déchanta. Car s’il avait acquis une forme de liberté qu’il chérissait, il prit vite conscience que les moyens financiers néces-saires pour bien la vivre lui faisaient défaut. Il rêva alors de devenir riche.

Fort de son expérience passée, il voulut, cette fois-ci, concrétiser son rêve sans perdre un instant. Derechef, il se mit à travailler, à créer, à investir, à embaucher, à s’agrandir, à délocaliser, à entrer en bourse, à spéculer, à vendre, à acheter, à se moderniser, à dé- graisser. Il travail-lait, il s’enrichissait. Il travaillait encore, il s’enrichissait toujours. Le virus le prit à en vouloir encore et toujours plus et ne le lâcha point. D’une simple entreprise créée de toutes pièces à ses débuts, il en fit un trust mondial. L’argent ne lui manquait plus, mais la liberté l’avait fui. Quand il le constata, il se retrouva vieux et bien seul.

Tout chez lui respirait l’aisance, la richesse. L’or et l’argent étaient présents dans son appartement et ses diverses résidences, dispersées dans le monde entier, partie de son territoire. Malgré tout cela, le vieillard était triste.

Dernier espoir, dernier rempart, dans son immense appartement, il avait créé un endroit secret où il aimait se reposer. C’était une sorte d’espace de liberté où il avait entassé ça et là des objets personnels, variés et disparates. C’est là qu’il aimait venir rêver, assis sur un fauteuil en cuir blanc. Il rêvait d’être un petit garçon qui, lui, avait encore la liberté de rire et de jouer.