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Par tous les temps, j’ai erré de ville en ville, de campagnes en montagnes à la recherche d’un complice, d’une âme qui voudrait bien se rendre avec moi sur les chemins d’un destin autre que le mien. J’ai tout essayé, mais tout est resté au même point.

Certains me trouvaient laide, toujours fatiguée, toujours haletante comme si quelqu’un était à mes trousses. D’autres me considéraient trop vieille pour eux ou, plus exactement, ils se sentaient encore trop jeunes pour tenter une aventure avec moi.

C’est vrai que j’étais d’une nature triste. Physiquement, je n’étais bâtie que sur des os. Comme amie, j’étais aussi gaie qu’une tombe. Je ne jouais jamais aux cartes, à l’exception du bridge. Je ne parlais comme langues que le grec et le latin. Je ne me nourrissais que de champignons aux noms trompetant et de croques divers, madame, monsieur. Rien de très réjouissant, je l’avoue. En contrepartie, j’avais de la répartie, je ne restais jamais à ma place. Avec mon faux air de bonjour tristesse, je trompais mon monde.

Cela ne suffisait pas pour séduire. Alors j’errais sur les routes, c’est là que j’avais plus de chance de rencontrer les autres. Mais ceux-ci me frôlaient, freinaient leurs impulsions, tentaient de me tromper et j’enrageais, je montrais les dents.

Parfois, au détour d’un chemin, au crépuscule d’un jour sans joie, certains m’accueillaient avec soulagement et recueillement. Mais, trop ivres pour apprécier un bonheur ultime envisagé, s’en allaient sans me remercier, sans marquer un temps. En guise de compensation, j’avais eu mon instant de plénitude, de joie, de satisfaction, je pouvais maintenant vaquer ailleurs, continuer ma randonnée.

Dans mon journal, je notais mes mésaventures quotidiennes ainsi que mes pensées, illusions, espoirs et mon désespoir. Chacun avait droit à un article. Tout y était retranscrit : ma rencontre avec le petit cheval et le petit chat, celle avec l’Arabe croisé par Roland, ma baignade dans des eaux stagnantes suivie d’un séchage auprès d’un feu de bois. Malgré la fatigue, je ne souffrais plus de mille maux et résistais au froid. Je traversais tristement, mais à chaque fois victorieusement, les épreuves que le destin m’infligeait.

Tout changea quand, sur un champ délaissé par la sauvagerie des êtres, baigné par des rus de sang, j’ai rencontré une petite âme : un enfant de huit ans. Il avait une chevelure blonde, des yeux bleus et un petit nez en trompette. Quand il me vit aussi sombre, aussi maigre, armée, non s’en faut, de mon registre, il fut impressionné comme tous les autres. Puis, sa nature naïve prit le pas sur sa peur et il osa me demander, l’inconscient :

- Qui es-tu ? Comment t’appelles-tu ?

Devant tant de grâce, je ne pouvais que m’exécuter et lui dire la vérité.

- On me nomme Mort !

- C’est un nom qui vous va bien ! répondit-il en souriant.

- Merci !

Une première larme coula sur mon visage décharné, c’était vraiment la toute première.

- Et qu’es-tu venue faire sur ce charnier, Mort ?

- Accomplir ton destin, mon enfant : la mort, toujours la mort !

Après un ultime baiser, je le laissai là, dépérir sur mon territoire favori, marché des dernières rencontres : un champ de bataille.

Tag(s) : #H.S. des auteurs
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