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Lundi 3 janvier

Hélène se tourne et se retourne dans son lit. Elle est en sueur. Ses draps s’enroulent autour de ses jambes. Elle allume la lumière, regarde sa montre, seulement 2 heures du matin ! Va-t-elle pouvoir se rendormir ? Elle se lève, fait quelques pas autour de son lit, tire les draps et les couvertures et se recouche. Lumière éteinte, elle essaie de recréer dans ses pensées l’atmosphère du roman lu la veille au soir. Peine perdue, son esprit vagabond la ramène sans cesse vers l’instant fatidique, vers une nouvelle plongée dans son enfer quotidien.

Elle se tourne, se retourne sans trouver de position qui lui convienne. Fatiguée cependant, elle finit par sombrer dans un sommeil agité.

Une voiture passe dans la rue, sous ses fenêtres. De nouveau éveillée, elle consulte sa montre : 4 heures. Impossible, cette vie n’est plus possible, il faut que cela cesse. Il faut qu’elle refuse de subir encore le tyran. Trouvera-t-elle aujourd’hui assez de force pour refuser, son mépris, ses brimades.

De nouveau elle tourne dans son lit, cherchant l’introuvable position idéale.
Le sommeil est de nouveau vainqueur, mais pour combien de temps ? Combien de temps avant que revienne la torture lancinante de ce refus qu’elle ne parvient pas à jeter à la face du tyran ?
Nouvelle consultation de la montre, 6 heures, ça ne vaut même plus le coup de se rendormir, autant prendre un bouquin.

7 heures, le réveil sonne. Déjà ! Il va falloir se lever, se pousser vers le boulot. Aura-t-elle le courage de s’y rendre ?

Courage ou pas, elle sait intérieurement qu’elle s’y rendra. Elle sait ne pas avoir le choix mais en même temps elle s’en veut. Aujourd’hui encore, elle subira la torture.

Son petit déjeuner avalé sans plaisir, elle saute dans le premier bus. Assise sur la banquette du fond, elle plonge le nez dans une revue, elle ne veut pas que les autres la voient. Elle se sent nulle, moche, ils ne peuvent que se moquer d’elle, elle qui n’a pas le courage de dire « stop ».

Pourtant, Patrick lui disait qu’elle était belle avant qu’elle commence à manquer ses rendez-vous avec lui et qu’il finisse par se lasser. Maintenant, à vingt huit ans, elle est seule, c’est bien la preuve qu’elle est moche, non ?

Sa station. Vite elle descend. Elle presse le pas sans regarder autour d’elle. Pourtant, malgré cette allure décidée, en apparence, elle crie intérieurement son refus. Elle se sait vaincue.

Aujourd’hui encore elle va franchir le grand porche. D’ailleurs, il est déjà devant elle. Elle lève une main tremblante vers le digicode. Ses doigts glissent sur les touches lorsqu’elle compose le code. Elle est obligée de recommencer plusieurs fois avant d’entendre le déclic caractéristique de l’ouverture.

Les jambes en coton, elle franchit le seuil. C’est fait, une fois encore elle est sur les lieux de son martyre.

Le concierge la salue de la main, un large sourire sur son visage. Pourquoi sourit-il, celui-là ? Il se moque d’elle, c’est sûr !

L’ascenseur est encore occupé, elle va devoir monter les quatre étages à pieds. Elle est sur le point de faire demi-tour mais se décide quand même. Elle est bientôt devant la porte de chêne.

De nouveau ses doigts tremblent en composant le code.

La porte franchie, elle enfile le couloir de quelques mètres seulement mais qui lui paraît interminable.

Elle arrive à son bureau, allume son ordinateur. La sonnerie du téléphone retentit comme si l’appareil, espion maléfique, avait senti sa présence. Elle hésite, reste la main tendue au-dessus du combiné sans se décider à décrocher. Puis, pour faire cesser le bruit lancinant, elle décroche.

— Bonjour Hélène, ici Christine, allez voir immédiatement monsieur Galtier, il vous cherche déjà depuis un quart d’heure.

— Bonjour Christine. Il me cherche déjà ? Mais je commence à 8 h 30 et il est seulement 25.

— Vous savez bien comment il est. A votre place, je ne traînerais pas.

— D’accord, j’y vais.

Elle repose l’appareil sur son berceau, le contemple quelques instants, tremblante, maudissant intérieurement cet engin de malheur. Elle se sent paralysée. Pourtant, il faut bien qu’elle bouge, qu’elle se rende dans le bureau directorial. Mais pour quelle nouvelle brimade ?

Enfin, elle se décide. Quitte son bureau et se dirige vers le fond du couloir où siège son directeur, Serge Galtier.

Devant la porte, elle hésite, lève une main tremblante pour frapper. Une grosse boule s’est formée dans sa gorge, elle a l’impression qu’elle ne va pas pouvoir parler. Mais, même si elle y parvient, saura-t-elle lui dire qu’il abuse, qu’il n’a pas le droit d’agir ainsi avec elle, qu’elle est un être humain.

Les premiers coups frappés contre l’huis, sans conviction, ne déclenchent aucune réaction de l’autre côté. Elle doit s’y reprendre à trois fois avant d’obtenir une réponse.

— Entrez.

De plus en plus mal à l’aise, elle pousse la porte et franchit le seuil. Ses jambes ont du mal à la porter et elle s’affale dans un des fauteuils face au bureau directorial.

— Je ne vous ai pas dit de vous asseoir mademoiselle.

La voix est rogue, hautaine, pleine de mépris. Elle se relève, manque tomber tant ses jambes l’abandonnent. Heureusement le plateau du bureau est juste à sa portée et elle peut s’y appuyer.

— Lâchez ce bureau, la femme de ménage vient de l’astiquer et je n’ai pas envie d’y voir vos traces de doigts.

Ses mains quittent brusquement le plateau salvateur comme s’il les lui brûlait. Elle retourne derrière le fauteuil et s’appuie au dossier.

— Vous n’êtes même pas venue avec vos dossiers ? Vous n’imaginez quand même pas que je vous ai demandé de venir pour bavarder avec vous ? D’autant qu’on ne peut pas dire que vous vous montrez particulièrement agréable avec moi malgré l’attention que je vous porte. Allez vite les chercher, je n’ai pas de temps à perdre, moi.

— Lesquels, monsieur ?

— Comment lesquels ? Mais le dossier comptabilité et le développement de l’application commerciale en cours, évidemment. Et ne traînez pas s’il vous plait, j’ai déjà assez attendu.

Mal assurée sur ses jambes flageolantes, elle retourne dans son bureau, fouille fébrilement ses tiroirs pour y retrouver les dossiers. Bien entendu, son trouble est tel qu’elle ne trouve pas. Où les a-t-elle rangés ? Il lui semble bien pourtant que vendredi soir elle les a mis dans le tiroir du haut. Peut-être devrait-elle regarder dans l’armoire ? Ils n’y sont pas non plus. Non, elle est sûre d’elle, c’est bien dans son tiroir du haut qu’elle les a rangés. Elle retourne tous les dossiers, peu nombreux, empilés dans le tiroir. Toujours rien. Ce n’est pas possible ! Quelqu’un les a pris. Il va falloir qu’elle en avise monsieur Galtier. Que va-t-il encore lui dire ?

Hélène est complètement abattue, ne pas retrouver ces dossiers lui paraît une énorme catastrophe. Pourtant, il faut qu’elle le dise.

Au bord de la syncope, elle reprend le couloir jusqu’au bureau du directeur. Là, elle est contrainte de s’appuyer au chambranle de la porte avant de frapper. L’invite énervée lui intime l’ordre d’entrer.

La gorge dans un étau, les jambes en guimauve, elle entre. Mais, que se passe-t-il ? Son collègue Eric Durieux, même diplômes, mais quatre ans plus jeune, est déjà installé dans un des fauteuils. Et, mais oui, ce sont bien ses dossiers, là, sur le bureau directorial. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Elle n’a pas le temps de proférer un son que son patron l’apostrophe :

— Vous venez sans doute me dire que vous n’avez pas trouvé les dossiers que je vous ai demandés mademoiselle ?

— Hhhh

— Ainsi, je vous confie deux des dossiers les plus importants de notre société et vous les laissez traîner.

— Mais…

— Heureusement que Durieux a l’œil. Vendredi, avant de partir, longtemps après l’heure comme d’habitude, il a fait une tournée des locaux et vu ces dossiers étalés sur votre bureau. Vous êtes totalement inconsciente, mademoiselle. Que faut-il faire avec vous ? Déjà, vous vous montrez incapable de respecter les délais.

— Mais monsieur…

— A propos de délais d’ailleurs, votre estimation de temps de développement de trois semaines pour le module C paraît complètement aberrante à Durieux, lui se charge de réaliser ce travail en huit jours maximum.

Hélène est effondrée. Elle encaisse la semonce sans pouvoir rien dire. Ainsi, c’est ce petit salopard d’arriviste qui est venu lui piquer ses dossiers dans son bureau. Parce qu’elle est sûre qu’ils étaient rangés dans son bureau, les dossiers. Elle se revoit hésitant à fermer le tiroir à clé.

Et puis cette histoire de délais, elle sait bien qu’il faut trois semaines à temps complet pour le module C, elle a l’habitude. Mais ce sournois de Durieux fait faire le boulot par des étudiants à qui il procure des stages, évidemment qu’il met moins longtemps.

La colère gronde en elle, contre Durieux, contre son chef mais aussi contre elle qui ne parvient pas à réagir devant tant d’injustice. Elle se sent lâche depuis six mois que dure ce supplice et qu’elle ne dit toujours rien pour le faire cesser. Elle tremble de colère contenue, de frustration.

Des fourmillements courent au bout de ses doigts, des scintillements rouges dansent devant ses yeux.

Non ! Elle ne doit pas se laisser aller. Il ne faut pas qu’elle craque devant ses deux bourreaux.

— Alors, mademoiselle, vous ne trouvez rien à dire pour vous justifier ?

— M…

— Très bien ! Alors, écoutez-moi bien. J’ai décidé qu’à partir d’aujourd’hui c’est Durieux qui prend la responsabilité des applications commerciales et comptables. Vous travaillerez sous sa responsabilité et je vous conseille d’y mettre un maximum de zèle.

— M…

— Si cette solution ne vous plaît pas, je ne vous retiens pas. Je vous l’ai déjà dit d’ailleurs, si vous vous sentez mal dans notre société allez voir ailleurs.

Hélène encaisse le choc sans pouvoir réagir. Alors les quatre ans qu’elle vient de passer à se défoncer ne servent à rien. On lui enlève les dossiers sur lesquels elle s’était jetée avec passion pour les donner à un petit arriviste. Et, en plus, il devient son chef direct alors qu’il a tout juste six mois d’expérience. L’ancien directeur savait évaluer le travail. Lui au moins était compétent en informatique. Mais ce Galtier, parachuté par la direction depuis que la filiale accumule les pertes ne connaît rien au sujet, alors, il croit n’importe quel clampin qui sait le faire mousser.

— Allez-y Durieux, prenez possession de votre nouveau bureau et chargez-vous de trouver une place pour mademoiselle Blanchard. Vous étudierez ces deux dossiers et lui confierez ce que vous la pensez capable de faire. Je vous fais confiance.

— Merci monsieur.

— Restez mademoiselle Blanchard, j’ai encore quelques mots à vous dire.

Durieux se retire, les dossiers sous les bras, un sourire épanoui sur le visage. Il a gagné, il triomphe.

Hélène, elle, s’agrippe désespérément aux accoudoirs du fauteuil. Elle a l’impression que si elle les lâche, elle va s’effondrer, couler.

— Alors, mademoiselle, vous êtes contente de vous ? Cela vous plaît de m’avoir contraint à prendre ces décisions ? Je vous avais pourtant prévenue, soyez plus…, comment dirais-je…, gentille avec moi.

Brusquement, Hélène réalise. Ainsi, ce gros porc a toujours les mêmes visées sur elle. Ce n’est pas seulement l’arrivisme de Durieux qui est en cause, mais aussi les propositions que Galtier lui a faites et qu’elle a repoussées sans ménagement.

Elle est anéantie. Christine lui avait pourtant dit qu’avec ce bonhomme « il faut coucher ». Ajoutant : «  tu sais ce n’est pas si terrible »

Son silence trompe l’homme, il contourne son bureau pour s’asseoir sur le fauteuil à côté d’Hélène. Ses propos, proférés sur un ton presque paternel, lui parviennent à travers un épais brouillard. Elle se sent approuver de la tête. Mais qu’approuve-t-elle au juste ? Elle ne sait plus.

Elle est comme anesthésiée.

Puis l’homme se rapproche d’elle, elle sent son souffle sur son visage. Que lui veut-il maintenant ? Elle n’a toujours pas émergé de son état semi-comateux.

L’homme glisse deux doigts dans l’ouverture de son chemisier et commence à dégrafer les premiers boutons sans qu’elle trouve la force de réagir. Il prend cela pour un acquiescement et fini d’ouvrir le chemisier qu’il dégage ensuite de sa jupe. Il est en train d’essayer de lui retirer son soutien-gorge quant elle prend soudain conscience de ce qui se passe.

Une vague de dégoût la submerge, irrépressible, et elle s’effondre en vomissant sur la moquette bleu roi, fierté de Galtier, signe de sa position de chef. Lui, reste planté là, stupéfait de la réaction de celle qu’il croyait prête à la soumission.

Hélène réussit à se mettre debout, quitte en titubant le bureau directorial et s’enfuit sans même rattacher son chemisier qui flotte autour d’elle. Où peut-elle aller se cacher ? Elle se sent sale, elle se dégoûte encore plus que tout à l’heure. Sans vraiment savoir où elle va, elle avance droit devant elle, ouvre une porte au hasard, le bureau de Christine.

Celle-ci voit le visage défait de sa collègue, le chemisier ouvert, elle comprend immédiatement.

Elle s’approche d’Hélène pour la réconforter mais la jeune femme la repousse. Elle s’approche de la fenêtre qu’elle ouvre en grand. Elle commence à respirer très fort. Christine pense qu’elle a besoin de s’aérer et cherche dans son tiroir un comprimé pour la calmer tellement elle la voit exaltée.

Elle comprend trop tard l’objectif d’Hélène. Avant qu’elle ait pu faire un geste, Hélène grimpe sur le bahut placé devant la fenêtre et se jette dans le vide.

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