René venait de se relever de son labeur pour s’éponger le visage rougi par l’effort et ruisselant de sueur. Son épouse qu’il n’écoutait pas, lui avait bien dit de le faire où de bon matin ou le soir à la fraîche, mais René avait décrété qu’il s’y lancerait dès qu’il en aurait envie, c’était peine perdue. Elle lui avait même dit qu’il pouvait éviter de se donner tout ce mal, après tout… il pouvait bien se contenter de l’eau de la ville. Mais il était décidé et il n’y avait rien à faire. Elle n’avait donc pas insisté, sachant l’inutilité de la discussion qui s’ensuivrait. La chaleur de cet après-midi d’été avait un peu mis à mal son enthousiasme et il avait dû ralentir le rythme. Il avait déjà creusé un bon mètre de profondeur et il était loin d’avoir fini. Il le savait, le sourcier qu’il avait contacté, un vieux du bourg, qui était parait-il doué pour tout, même pour faire le mal… l’homme de l’art lui avait indiqué en laissant osciller la fourche de coudrier entre ses mains qu’il devra creuser huit mètres s’il voulait trouver l’eau. La grandeur de la tâche ne l’avait pas rebuté, loin de là. Huit mètres ne lui paraissaient pas si gigantesque que ça. Le sourcier, lui, était reparti avec son billet en haussant les épaules et sans commentaire.
Comme son épouse ne s’était pas donnée la peine de lui apporter à boire, malgré ses demandes et que la soif commençait à le tenailler, René était sorti de son trou pour aller dans la cuisine où madame s’affairait à faire la vaisselle. Il ne dit pas un mot, mais elle n’avait pas besoin de l’observer pour savoir qu’après avoir bu un verre de rouge, il s’en resservait un second dans la foulée. Le premier, comme il aimait à dire, nettoie la bouche, le second désaltère. Il s’était ensuite assis sur la vieille chaise de paille délabrée qui se trouvait devant la maison. Il l’avait toujours vue là et ces années d’exposition aux intempéries faisaient qu’elle tenait à peine sur ses quatre pieds vermoulus.
Il avait été étonné que cette maison qui disposait d’un petit jardin ne dispose pas d’un puits. Il ne savait pas trop l’histoire de cette demeure ancienne qu’il avait achetée avec son épouse il y a cinq ou six ans, il ne se souvenait plus la date, mais à quelques mois près c’était ça.
La fin d’après-midi arrivait, le soleil baissait à l’horizon et René était retourné à la besogne beaucoup plus clame qu’au début de l’après-midi. Il avait repris sa pioche et œuvrait à grands coups sur le sol. Jusqu’à maintenant il n’avait pas trouvé de caillou ou de roche trop grosse juste quelques cailloux plus ou moins gros. La pioche tomba tout à coup sur un endroit dur et où le tranchant de l’ustensile glissa lui rejetant de la terre dans la chaussure. Voyant cela il finit pas délaisser sa pioche et y alla avec les mains, tel un archéologue. Peu à peu il finit par mettre à jour ce qui avait dû être un espace carrelé, une pièce peut-être…le quart de l’espace ainsi dégagé en était couvert, sauf le reste où il put continuer de creuser une trentaine de centimètre et tomber de nouveau sur du dallage semblable au précédent et d’une largeur identique large d’environ trente centimètres. Il commença à pressentir ce qui pourrait être un escalier… Il arriva bientôt à la limite du cercle de creusement et s’il voulait savoir où cela allait le mener, il lui faudrait agrandir son trou de départ. Il était bien perplexe devant la tâche et qu’est-ce que sa femme allait dire s’il s’engageait dans pareille aventure…car c’était une aventure tout de même ! Qu’allait-il bien pouvoir invoquer pour expliquer à son épouse qu’il devait, pour bien faire, creuser en longueur une partie de la cour, sans savoir jusqu’où ?
Un trésor ! Pourrait-il s’agir d’un trésor ? Il la connaissait, le concret avait toujours eu à ses yeux, plus de valeur que l’hypothétique. Et là, ce n’était plus de l’hypothétique, mais de l’irrationnel !
Alors, dans un premier temps il préféra ne rien dire. Il continua à creuser agrandissant bien sûr le trou dans le sens horizontal. Pour masquer ses intentions à son épouse, qui d’ailleurs ne se souciait pas de lui, il avait choisi de creuser un genre de tunnel qui non seulement cheminait horizontalement, mais suivant ce qui devait être un escalier et qui descendait. Au sol on ne voyait, pour le moment, que le trou de départ parfaitement circulaire. Tant que la surface tenait… Mais arrivé au bout d’un certain temps la galerie était déjà longue de deux mètres. Il était sûr maintenant d’être tombé sur un ancien escalier ! Jusqu’où pouvait-il aller ? Là était la question à laquelle René n’était pas en mesure de répondre. Ce qui l’ennuyait le plus… c’était le risque d’effondrement. À ce moment-là, il était déjà invisible aux yeux de l’extérieur. Si son plafond venait à s’écrouler, il serait ensevelit. Mais il relativisa en se disant que ce n’était pas sa femme avec ses 45 kg qui pourrait faire écrouler son grand œuvre !
À contrario de cet après-midi où il avait eu tellement chaud au soleil, là, il goûtait au plaisir de la fraîcheur qu’il aurait eue dans n’importe quelle cave. Ça lui rappelait celle que ses parents avaient sous leur maison à la campagne. Mais ici, pour ce qu’il en savait, il n’y en avait pas.
Il n’avait pas vu le temps passer. Il était maintenant dans le noir le plus complet. Ne pouvant plus rien faire, il remontait à la surface escaladant les marches sur les genoux.
Dehors, le soleil s’était couché depuis belle lurette, comme son épouse d’ailleurs qui, n’ayant eu aucune réponse à ses appels pour qu’il vienne dîner, était partie se coucher.
Il jeta un œil vers la maison. Elle était plongée dans le noir le plus complet. Il la rejoignit en tentant de rentrer par la porte de la cuisine comme il l’avait fait quelques heures auparavant, mais celle-ci était verrouillée. Heureusement la porte principale ne l’était pas. Il put ainsi aller enfin se restaurer, les travaux de terrassement auquel il n’était pas habitué lui avaient creusés l’appétit.
Une fois terminé, il était de nouveau sur pied et songeait malgré l’heure tardive maintenant à se remettre au travail. Il avait réfléchi que tout compte fait comme dans son trou il était dans le noir cela ne changerait rien d’attendre le jour. Puisqu’il n’était pas fatigué, autant qu’il termine le travail d’autant que la curiosité dont la nature l’avait gratifié était conséquente et désormais le désir de savoir où pouvait bien mener cet escalier et ce qu’il cachait. L’idée d’un trésor devenait dans son esprit de plus en plus prégnant…
Il alla chercher dans sa remise une baladeuse et une rallonge électrique et s’engouffra à nouveau dans la cavité. Au contraire de la fatigue qu’il aurait pu éprouver, il avait une joie de vivre qu’il n’avait pas eue depuis longtemps, mais il garda son calme conscient de se trouver à un moment crucial dans son entreprise. Il allait peut-être découvrir un trésor, mais que pouvait-il bien être ?
Il avait maintenant creusé cinq mètres et les marches cessèrent, il tapait sur du sol dur, mais plus de dallage…il pouvait désormais presque se tenir debout et il fut tenté de taper plus haut, sur la partie verticale qu’il avait devant lui en pensant qu’il pourrait y trouver une porte. Après quelques coups de pioches sur la paroi qui lui faisait face pour sonder il crut comprendre au bruit qu’à l’arrière se trouvait un espace vide. Persuadé qu’il touchait au but, il s’était arc-bouté à la manière d’un lanceur de poids, la pioche tenue des deux mains, il la jeta avec toute sa force sur la paroi qui s’effondra dans un bruit terrible provoquant sa peur et le fit s’extirper de sa galerie plus vite qu’il ne l’aurait voulu. Les craintes étant passées. Il redescendit les marches enjamba les planches pourries et les gravas de toutes sortes et regarda effaré les lieux ainsi mis à jour.
Il se trouvait dans une cave où nombre de bouteilles apparemment vides jonchaient le sol. Des étagères en métal rouillé en supportaient encore un certain nombre qu’il ne chercha même pas à décompter. Il avança à pas comptés, dans les lieux. La cavité était assez grande et il n’avait désormais plus besoin de creuser. Il se dit à ce moment qu’il avait une sacrée nouvelle à annoncer à son épouse.
La baladeuse à la main il découvrait petit à petit le stock de bouteilles, celles déjà vidées jonchant le sol et celles encore pleines reposant pour certaines sur des étagères improbables. Il sortit de sa poche de pantalon son couteau suisse disposant d’un tire-bouchons et tenta d’ouvrir un premier flacon, mais le bouchon se désintégra dès qu’il voulut le tirer, si bien qu’une partie du contenu l’éclaboussa maculant ses vêtements d’un rouge profond. Il ouvrit une seconde bouteille avec un peu plus de bonheur, mais une fois ouverte il lui manquait un verre. Il n’hésita pas longtemps à boire au goulot, trop curieux de connaître le goût de ce breuvage abandonné à l’oubli. Le vin semblait fort et devait être passablement liquoreux. Il aimait justement ce goût particulier et continua dans ses recherches, goûtant plusieurs bouteilles de la même manière. Encore aurait-il eu le courage de remonter chercher un verre qu’il n’en avait plus la possibilité. Il titubait de…fatigue. La tête lui tournait et le comble survint lorsque l’éclairage s’éteignit subitement.
À l’extérieur, le jour était levé et madame cherchait son mari partout…elle ne l’avait pas trouvé à ses côtés dans le lit conjugal en se réveillant. Ça l’avait intrigué. Elle était bien sortie dehors mais n’avait pas osé regarder dans le trou béant qui ornait la cour, non pas que sa profondeur ait été de nature à provoquer le vertige, mais tout de même… elle préféra appeler les pompiers qui arrivèrent peu après. Elle eut beau expliquer aux intervenants qu’il était en train de creuser un puits pour trouver de l’eau, ils n’eurent pas l’air de la croire rajoutant qu’en ce cas le trou n’aurait pas dû être creusé dans ce sens. Elle n’osa rien rajouter. Quelques minutes plus tard, ils remontèrent son mari sur une civière pour plus de pratique, car ivre mort, il était dans l’incapacité de mettre un pied devant l’autre. Il divaguait même.
Et le pompier de conclure…vous êtes sûre que c’est l’eau qu’il cherchait, parce qu’à bien y regarder c’est du vin qu’il a trouvé !?