C’est au Café des Délices qu’il vient s’asseoir lorsque le jour se barre. Il prend toujours le même plaisir : glace à la menthe nappée de copeaux de chocolat.
Elle, comme chaque soir, travaille dans les coulisses du grand magasin d’en face. Rêvant sa vie, elle frôle les présentoirs d’ors et d’argents de son chiffon immaculé, effaçant d’un geste le passage du jour.
Vingt heures, il se lève, quitte le Café des Délices et s’enfonce dans le noir de sa nuit. On parlera de lui dans le prochain journal.
Minuit, elle s’assoit deux minutes avant de rentrer seule. Elle quitte le grand magasin, regarde le trottoir d’en face, si vide, et file sans le savoir vers sa sortie.
Debout, il regarde le corps, ses mains, le sol, émerveillé par le fil vermillon qui s’écoule doucement du cœur, à chaque battement, de plus en plus lent. On parlera de lui.
Elle, ne sent plus la pluie d’automne. L’auvent qui lui cache le ciel claque encore une fois mais elle ne l’entend pas. Fini, le rêve s’envole dans son dernier soupir.
Trois heures, il déambule, recherche le sommeil. Il plonge son regard dans les eaux noirâtres du fleuve, cherche son visage dans le miroir brouillé par le crachin.
Le jour n’est pas encore là mais déjà la vie recommence. Les lumières bleues brulent quelque part au-dessus d’un corps abandonné. Les journaux titrent sur elle et parlent de lui. Les arbres qui bordent l’avenue s’ébrouent et secouent leur ramure. Il sourit, la journée sera belle.