P1 Brigitte - L'autre Brigitte

Elle s’appelle Brigitte. Comme moi. Mais hormis ce prénom, nous n’avons rien en commun. Je la connais depuis longtemps. Enfant, déjà, elle aimait commander. Devenue adulte, elle est restée très autoritaire. Elle régente son mari et ses enfants, décidant de tout : la décoration de la maison, les vêtements qu’ils doivent porter, les amis qu’ils peuvent fréquenter… Son époux n’a pas trouvé d’autre solution que de passer le plus de temps possible à l’extérieur du domicile conjugal. Ainsi, il multiplie les heures supplémentaires et les déplacements. On murmure qu’il a une maîtresse et, qu’avec la femme qu’il a, ce n’est pas étonnant. Brigitte ignore la rumeur et continue à se promener, tête haute, au village.

Les garçons n’ont pas, comme leur père, la possibilité de se soustraire à l’autorité maternelle. Leur mère suit de très près leurs études et connaît parfaitement leur emploi du temps. S’ils ne sont pas de retour dans le quart d’heure suivant la fin des cours, elle leur fait une scène terrible. Elle est capable d’entrer dans des colères d’une violence inouïe lorsqu’ils n’obéissent pas aux règles qu’elle a établies. Lorsque c’est le cas, le plus raisonnable est de se taire et de laisser passer l’orage. D’autant que celle-ci retombe aussi vite qu’elle est montée. Bien sûr, à chaque faute correspond une punition. Conformément à sa devise « Qui aime bien châtie bien », elle ne conçoit pas de laisser le coupable impuni.

Brigitte ne supporte l’inactivité ni pour elle ni pour les autres. Pendant les vacances scolaires, elle lève ses enfants de bonne heure car « La vie appartient à ceux qui se lèvent tôt ». Elle trouve mille corvées pour occuper ses chers bambins. Si l’une d’elle est mal exécutée, elle doit être refaite jusqu’à ce que le résultat la satisfasse. On pourrait douter de son amour maternel car elle a le compliment rare. Pourtant, je suis sûre qu’elle n’agit qu’en pensant à leur bien. Elle-même n’avait pas des parents très expansifs. Et elle ne fait que reproduire ce qu’elle a connu.

Il serait injuste de ne parler que de ses défauts. Brigitte a aussi de bons côtés. Croyante, elle donne de son temps pour les personnes âgées de la paroisse. Elle leur rend visite à domicile, leur fait de petites courses…
Les mauvaises langues disent qu’elle ferait mieux de se montrer un peu plus charitable avec ses enfants. Elle ne les écoute pas car elle se moque bien du « Qu’en dira-t-on ? » D’ailleurs cela la pousse parfois à un peu trop de franchise. Car elle n’a pas la langue dans sa poche, Brigitte, et n’hésite pas à dire exactement ce qu’elle pense sans songer aux conséquences. 

Enfin, la qualité que je lui envie le plus est sa formidable confiance en soi. Jamais elle ne se remet en question, pétrie qu’elle est de certitudes. Pourtant, la fuite de son mari, l’attitude craintive de ses enfants, les rumeurs… devraient la faire douter. Mais il n’en est rien. Peut-être s’appuie-t-elle sur sa foi et considère-t-elle la mauvaise estime de soi comme un péché ? Je ne sais pas. En tout cas, je l’admire pour cela.

Brigitte n’est pas mon amie. Parfois je la plains, parfois je l’envie. Une chose est sûre, elle ne m’a jamais laissée et ne me laissera jamais indifférente. Elle représente tout ce que je ne suis pas.