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Monique passait ses courriels en revue. Les messages de ses amies étaient noyés dans une flopée de "spams" infects. Comment était-ce concevable que des personnes puissent se permettent d'envoyer des messages aussi ignobles ? Dire que des enfants devaient tomber tous les jours sur ces publicités, les incitant à l'usage d'objets ou de médicaments à des fins… non convenables ! Rien que d'y penser elle en était révulsée. Elle qui avait été élevée dans une famille où la rigueur et le maintien étaient si importants. Ce damné ordinateur commençait à lui chauffer les oreilles.

 

Il devait bien y avoir un moyen de supprimer ces emails automatiquement, mais elle n'arrivait même pas à les supprimer manuellement. Quelle idée farfelue son cousin lui avait donné, que d'acheter cette camelote. Résultat, les courriels de ses amies étaient perdus, dispersé dans ce fourbi infâme.

Cette liste infinie de messages sans ordre, sans rangement possible lui donnait de l'urticaire. Tout était parfaitement rangé chez elle. Les livres dans l'ordre alphabétique (sauf les livres de foi qui étaient à part bien sûr), les affaires de cuisines, les linges, les lettres…

 

C'était tellement mieux à l'époque où l'on s'écrivait vraiment. Elle se souvenait avec attendrissement du plaisir de coucher sur ce beau papier ces belles lettres allongées et déliées, comme elle l'avait appris avec son percepteur.

 

Mais voilà, tout le monde est passé à l'ère de l'informatique. Tout se perdait et sombrait dans le stupre de ces "spams" maudits. Elle n'était plus qu'un vieux dinosaure inadapté et impotent. D'ailleurs ses amies lui écrivaient de moins en moins souvent. Forcément, elle manquait un message sur deux et prenait tellement de temps pour répondre, à taper sur ces touches maudites, que tout arrivait trop tard.

 

Ce foutu progrès était une malédiction. Ah, voilà qu'elle se mettait à jurer. Sa colère montait et lui bloquait la respiration. Tout ça à cause de ces ordinateurs de malheur. Elle avait perdu son emploi à cinquante ans parce qu'elle ne comprenait rien à l'informatique. Elle avait essayé d'apprendre l'anglais, avec une méthode révolutionnaire, mais elle n'avait jamais pu faire fonctionner ce foutu cédérom. Ah, voilà qu'elle jurait à nouveau.

 

Et bien sûr, personne n'était là pour l'aider avec cet ordi de malheur. Elle ne s'était jamais mariée. Elle n'avait jamais trouvé un mari convenable, qui eût plut à son père. Elle avait bien rencontré ce Gérard, si sympathique et si bien éduqué. Elle était allée jusqu'à l'accompagner au restaurant. Mais finalement, quelle horreur, elle s'était rendue compte qu'il était informaticien…

 

Voilà, c'était le bouquet, tous ses mails avaient disparus ; courriels et "spams" compris. "Bordel de dieu de foutue machine" ! Ahh, abomination, les blasphèmes sortaient tous seuls de sa bouche. Et à voix haute en plus.

 

Elle avait jurée trois fois de suite, comme Pierre avait renié trois fois Jésus au matin de sa Passion. C'en était trop. La rage l'étouffait presque, elle sentait le sang lui battre les tempes et ses jugulaires prêtes à exploser. Elle couru à la cuisine avec le peu de souffle qui lui restait et revint avec la plus grosse de ses casseroles en acier emmaillées. D'un coup droit digne du beau Wilander (Ahhh, Avé Maria, Dominus te cum), elle projeta la gamelle droit sur l'écran qui explosa instantanément dans un vacarme assourdissant et une nova d'éclats de verre.

 

Ce baiser piquant l'arrêta tout net. Comme un amant posant ses lèvres dans son coup, un morceau de l'écran venait de se planter pile dans sa jugulaire droite, déjà distendue par la colère. Un frisson la parcourut tout  le long de la colonne. Elle porta sa main, toucha ce gros morceau de verre, planté comme la lance dans la poitrine du Christ. Son sang affluait autour, par saccade. Elle sentait ce liquide chaud couler doucement le long de son bras et de son buste, dans une longue caresse apaisante.

La douceur l'envahissait, ses jambes devenaient toutes molles. Elle coula toute entière. A genoux, puis assise sur le côté, puis allongée sur le flan. Tout devenait plus obscur. Elle se trouvait si bien. Elle ne souffrait plus de son arthrose, ni de ses dents, ni de ses vapeurs. Tout était si doux, si apaisant. Elle ne ressentait plus aucune colère.

 

L'obscurité l'enveloppa totalement comme sa mère l'enveloppait dans son châle, il y avait une éternité. Elle avait l'impression de flotter hors de son corps. Au milieu du néant elle aperçu un point blanc, qui se rapprochait. A mesure que le point grossissait, son faible éclairage laissait apparaître des parois autour d'elle ; elle était dans un tunnel qui menait à cette lumière. A l'intérieur de ce point qui grossissait au fur et à mesure, elle commençait à apercevoir d'autres petits points lumineux qui bougeaient, qui volaient, comme des anges.

 

Elle y arriva finalement, la lumière était intense, le point initial était devenu immense et occupait toute sa vue. Chose étrange ; il était carré et on distinguait dans la lumière aveuglante une sorte de trame régulière. Elle se retourna et distingua un grand entonnoir qui partait des bords du carré pour se rejoindre dans un petit tunnel noir au fond, d'où elle venait sans doute.

 

Soudain une voix sourde et implacable si fit entendre : " Monique, tu es maintenant Pixel R72/414. Va immédiatement te positionner à ton emplacement, conformément à la requête Microsoft hellstar V1.20. Le bombardement d'électrons sera amorcé dans quatre nanosecondes. BIENVENUE DANS TON ENFER"

Tag(s) : #Textes des auteurs
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