Ah là là, l’histoire, je te raconte pas ! Ou plutôt je te raconte ! J’étais en vacances à la mer cet été, on baguenaudait gentiment le long de la digue, Mireille et moi. Le lundi de notre arrivée, on a voulu faire un tour en bateau dans la baie de somme, ça tanguait grave, mais c’était chouette, c’était fou le nombre de bateaux qui avaient pris le large en même temps que nous, toute cette procession inattendue d’embarcations diverses nous fascinait, nous, simples parisiens qui ne connaissions jusque-là que les bateaux paisibles descendant la Seine… On sort du bateau, je reprends ma voiture au parking, voilà que je la retrouve toute cabossée sur l’aile gauche et le rétro déformé et gondolé, vitre avant cassée, un carnage quoi ! J’ai fait un de ces tabacs auprès du responsable qui a nié les faits en disant que mon rétro devait déjà être comme ça avant, j’ai failli lui sauter dessus tant j’étais énervée, c’est un monde, ça, de nier l’évidence. Mireille boudait dans son coin en disant qu’elle aurait mieux fait de rester chez elle en écoutant un vieux tube des Beatles sur son électrophone, j’ai dit ah bon, c’est ça l’amour, voilà comment tu me défends et me soutiens dans mes démêlés avec ces pingouins. Elle s‘est ratatinée dans son coin, se faisant encore plus petite qu’elle n’est en vérité, moi je l’ai regardée avec dureté et dédain, et aussi pitié pour moi-même de n’avoir pu décerner à temps son véritable caractère : celui de se préoccuper d’elle-même avant les autres et de ne montrer aucune empathie envers ma personne et ma voiture. Je me suis toujours trompé de femme, ça, c’est un fait, j’ai toujours eu tendance à les magnifier côté caractère et à leur prêter un habillage affectif plus beau qu’elles n’en possèdent en vérité, c’est ma faiblesse et c’est mon grand défaut. Je me dis à cet instant que, quoi que je fasse, je ne serais jamais que le grand équarisseur de moi-même, préférant me sacrifier et offrir ma vie à une cause pour le moins douteuse. Je lui ai crié tout ça avant de lui déclarer vouloir me séparer d’elle, elle avait les larmes aux yeux, elle me faisait de la peine, je l’ai prise dans mes bras en lui chuchotant que le Carglass des cœurs, c’était pas pour les chiens et qu’on allait, s’il était encore temps, recoller ensemble les morceaux. Elle m’a souri de son sourire unique, attendrissant et enjôleur, j’ai fondu comme neige au soleil, on est rentré bras dessus à l’hôtel, j’ai appelé mon assureur pour lui parler des dégâts, pas de soucis, il allait arranger ça, et ensuite on s’est installé confortablement sur le canapé pour regarder les infos. La météo ne prévoyait rien de bon pour demain, on avait bien fait d’en profiter aujourd’hui.