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Nous étions les mutants. Les migrants, venus de nulle part, des lointains territoires du passé. Nos bagages de mémoire étaient si lourds, chargés de secrets, d’erreurs, de déboires ! Nous les avions laissés, là-bas, comme autant de lests gênant nos envols aléatoires.

          La cour immense surplombait la mer comme une proue. Le ciel était radieux. Pour qui venait du nord aux automnes précoces cette rentrée, en ce 3 septembre 2007, prenait presque un air de vacances.

          Nous étions les mutants. Nous étions les migrants. Les nouveaux venus. Nul ne connaissait notre histoire. Nous étions attendus mais accessoires. Nous flottions dans l’instant, hésitants, tendus, parmi des visages, des usages inconnus, suspendus à un regard, un sourire, tâchant de faire bonne figure –Nous, les figurants. Les migrants. Les mutants.

          Avec le temps nous nous ancrerions dans le paysage, nous communierions avec les rites de ce pays étrange, nous comprendrions à demi-mot la langue souterraine de ses habitants. Nous ne serions plus de passage, passagers presque clandestins encore, que l’on ignore, dans la fausse ferveur de retrouvailles convenues.

          On nous parlait pourtant. On s’enquérait de notre identité, notre spécialité. L’équipage nous prenait en charge, naufragés tout juste échoués sur le bastingage. On nous donnait notre paquetage : nos clés, nos codes, nos cases, nos postes, nos règles de conduite. De normalité. On nous assimilait, novices matelots, sur le vaisseau Amiral.

          Nous avions sauté dans l’inconnu, gorge nouée, cœur éperdu, pour un dernier salut, une chance ultime –Le bonheur. La terre promise était-elle ce vaisseau perdu sur les contreforts de l’Azur ? Nous l’espérions, sans doute, prêts à sombrer, prêts à tout risquer dans l’aventure.

          L’aventure a duré neuf ans. Dire si nous fûmes sauvés ? Qui le pourrait ? Toute quête n’est-elle pas illusoire ? Mais nous avons trouvé l’amitié.

Compagnons d’outre-mémoire, nos errances nous unissaient. Chacun en l’autre reconnaissait, hasard ou coïncidence, sa propre existence. Nous étions pareillement fous, téméraires, éternels adolescents sous nos allures sages. Proust, Rimbaud, Saint John Perse ou Duras étaient nos camarades de récréation. Nous savions, au-dessus des routiniers rouages, faire chanter les âmes et les mots.

Oui, l’aventure fut belle, dans l’exaltation de ces instants précieux où nous ne faisions qu’un, modernes mousquetaires de la Belle Littérature, vaillants petits soldats du Bel Ecrire, infatigables vendangeurs de Raisins Verts, promesses des meilleurs crus...

Nous, les migrants. Nous, les mutants.

          L’aventure amirale touche à sa fin.

Nos cœurs ne s’en contentent plus. Ils contemplent l’horizon sans limite et visent l’infini.

 

Espoir, vieux capitaine, il est temps ! Levons l’ancre !

Ce pays nous ennuie, Espoir ! Appareillons !

 

Le vent du large enfle nos narines.

Nous mettons à la voile vers le Cap de Bonne Espérance.

Que les vents nous soient propices !

S’ils séparent nos corps, que nos esprits restent unis !

 

         Il me faut à présent clore ce florilège sur un dernier bouquet de mots :

 

Mes amis, mes chers amis,

Salut et Vie !

Tag(s) : #Textes des auteurs
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