Par la fenêtre j’observe un glaçon accroché à la gouttière, peu à peu il s’amenuise sous mes yeux, chauffé par les chauds rayons du soleil printanier et c’est un peu mon histoire que j’observe. Il y a quelques temps déjà pendant une discussion animée avec mon jeune garçon, il m’a jeté à la figure « Tu es si froide, si distante, un vrai glaçon ! ». Ça m’a tant secouée que je me suis imposé un profond examen de conscience, je me suis rendue à l’évidence, il avait eu raison de brasser ma cage. Après coup, j’ai été envahie par une immense tristesse. J’ai mes raisons d’être ainsi et bien sûr il n’y est pour rien le pauvre mais comment expliquer à un enfant de cet âge que le départ subi et définitif de son père alors qu’il n’était qu’un minuscule embryon avait durci mon cœur et que la rage éprouvée pour le déserteur ne m’avait plus quittée. Il me remettait à l’ordre avec tout le désespoir d’un enfant en manque d’affection. Ses mots m’ont ébranlée, comment n’avais-je pas réalisé avant le mal que subissait mon fils depuis sa naissance par mon attitude ? J’ai, depuis, entrepris une profonde réflexion et peu à peu je renoue avec ma sensibilité. Doucement, tout doucement, j’apprivoise les gestes trop longtemps refoulés, ceux de la tendresse. Et j’y arrive. D’une légère caresse dans ses cheveux aussi noirs comme ceux de son géniteur je suis aujourd’hui capable de le prendre dans mes bras et de lui susurrer à l’oreille combien je l’aime. Cette colère éprouvée pour celui qui nous a abandonnés sans laisser d’adresse, je réussis à m’en débarrasser, je me déleste de ce courroux qui m’a habitée depuis trop longtemps. Cet enfant est, je dois bien me l’avouer, le fruit de l’amour car je l’aimais cet homme, d’un amour irrationnel et passionnel. Et les passions, je l’ai appris à la dure, fondent comme glace au soleil. En vérité, maintenant, il m’est difficile de me débarrasser de la culpabilité ressentie de ne pas avoir été la mère que j’aurais dû être. Comme on ne peut refaire le passé et que cette route je l’ai bel et bien empruntée, j’ai maintenant le pouvoir de choisir d’autres chemins beaucoup plus agréables à parcourir.
Aujourd’hui, je suis heureuse et fière du fils que j’ai et qui me comble. Loin d’être avare de gestes de tendresse et d’affection, je reprends le temps perdu en sachant bien que lorsque son adolescence se pointera je devrai modérer mes élans sans pour autant cesser de lui manifester mon amour et ma fierté. Ce petit bout d’homme m’aura bien fait grandir.
Il n’y a plus de glaçon à la gouttière, il est complètement fondu. Du jour où mon fils m’a lancé à la figure que j’étais froide comme un glaçon j’ai commencé à fondre pour notre plus grand bonheur à tous les deux.