Je reste assis devant la fenêtre, à chercher encore du regard le soleil qui lézarde les nuages, à distinguer les fleurs tout près, les arbres plus loin, mon cher érable rouge, à tenter de les distinguer. Je ne peux les approcher mais chaque odeur est encore présente même fenêtre fermée, et le tremblement des feuilles est comme une caresse. J'aurais 90 ans demain ou 100 ans je ne sais plus. Mes enfants se réjouissent, préparent une grande fête, moi je regarde les nuages et leur demande de m’amener. Il est temps me soufflent ils, on t’attend. C’est étrange, à 50, 60 ans, la peur de la mort entravait mes pas, aujourd'hui je me sens. Léger, prêt à dénouer le dernier fil.
Et pourtant la contemplation de la vie me réjouit toujours autant et pourtant mes sens de réveillent aux caresses, mes papilles salivent à la pensée d’un navarin d’agneau, d’une salade huile noisette, et pourtant je redécouvre indéfiniment les mots de rilke. Les pas, les gestes, projets, relations abandonnées en route, en raison de mon âge de mes douleurs, de mon désir ont été désherbés pour d’autres semis'
Le souvenir a repeint les murs en carence. Ils restent ma grotte. Je me retourne rarement ou pour honorer mes amis partis trop tôt, leur parler à contre sens.
Oui je tiens mon vrai poids de vie entre mes mains fragiles. Est cela le. Poids d’une âme ? Saluer son enfance et faire sa révérence à l’heure dite ? Est-ce cela ?
Mon corps répond à peine mais je me réjouis de l’agilité de mon esprit. C’est lui, tjs lui qui me mène où je veux... À cette dernière lettre prête à s’envoler de mes lèvres. Je ne peux plus écrire mais je peux transmettre.
Et je souris de cette liberté-là. Oh explorer hier comme aujourd'hui, rêver, se souvenir, fantasmer...
Je revois le petit garçon en jean polo sans. Marques, courir en bas des hlm, découvrir la forêt proche, monter aux arbres, voler des clous pour construire la première cabane. Je ressens cette première fierté de l’autonomie en pleine nature.
Nous étions combien déjà ? Je me souviens de quelques visages, de traités de caractères, de deux prénoms. Ils sont avec moi, si mes arrières petits enfants pouvaient eux aussi vivre cela... Mais nous avons changé d’ère... Ce n’est pas à moi de juger... Il y aura toujours suffisamment de jeunes et de vieux cons.
Je leur souhaite d’inventer.
Les premiers fourmillements assis à côté de la maîtresse. J’aimais découvrir et je m’ennuyais. Je cherchais son regard quitte à provoquer ses reproches et j’en rêvais encore la nuit. Il m’aurait fallu plusieurs scolarités pour m affranchir du regard de celle qui savait et mettait des normes.
Et les livres oh les livres, comme une fontaine de jouvence. Je ne sais plus qui des albums lus à mes enfants, des Mickey offerts quand j’étais malade, des premiers hakims aux club des 5, à germinal de Zola, j’irai cracher sur vos tombes, l’idiot et plus tard bien plus tard la poésie...
Je leur en ai lu des extraits ils ont tout sur tablette...
Lire comme posséder le monde et s’en affranchir.
Que leur laisserai je de précieux dans ces cartons empilés dans la cavé. Mes lettres glissées dedans.
Oui les lettres à la plume, au stylo, au feutre, classées, jamais relues. Les mots de l’attente, les mots qui caresse t questionnent, qui ouvrent les yeux, les mots qui explosent en bouche et enrobent le cœur. Personne ne les lira. Je n’ai jamais osé les jeter.
Elles me sont presque des corps aussi, corps de femmes.
Corps qui s’embrase t, poitrine, hanches, jambes prêtes à s’ouvrir, et le silence émoi. Comment et quand peut-on se passer de cette jouissance ? L’évoquer c’est encore là vivre... On en oublie la douleur de l’absence, la séparation, le vide. On se souvient de l’amour toujours premier et du frémissement de chaque grain de peau..
J'ai peut-être mal aimé, mais j'ai aimé et ces amours diversifiés et ces amours incontrôlés me dédouanent.
De vivre encore.
Je suis vivant
Et j’aimerais toujours même après