« Salut les copains,
Au moment où j’écris ces lignes il est 17 heures, et ici le soleil se couche déjà. Même si le ciel m’offre des couleurs particulièrement incroyables ce soir, je ne peux pas m’empêcher d’être nostalgique à la vue de ce spectacle. Je me remémore tous les beaux moment vécus ensemble, avant que tout ça n’arrive.
J’ai eu du mal à vous écrire après tout le mal que j’ai pu causer, même si je sais à quel point vous vous êtes inquiétés pendant ces quelques semaines sans nouvelles. Mais voilà, je ne parvenais pas à m’adresser à vous, de peur de m’effondrer à nouveau.
Maintenant que je suis installée – un bien grand mot pour cette petite chambre de bonne qui me sert de nouveau refuge – il est temps pour moi de vous écrire ce dernier message d’aurevoir.
Après des jours et des jours de lutte incessante contre moi-même, j’ai finalement décidé de partir et de tout laisser derrière moi. J’aurais aimé être plus forte, plus solide. Mais tout recommencer m’a paru plus simple que de continuer d’avancer dans cette vie décousue.
J’espère qu’un jour vous pourrez me pardonner.
Avec tout mon amour,
Charlotte.
Ps : Promettez-moi de ne pas essayer de me retrouver. »
Je referme mon ordinateur, à la fois triste et apaisée. Consciente de la tournure dramatique qu’avait pris cette situation, mais avec la certitude que mes amis comprendraient ma décision.
Il faut dire que ça a été une année noire pour moi. Une année à bannir de mon histoire personnelle, de ma vie.
Les ennuis ont commencé quand j’ai démarré la fac. C’était un peu comme passer du parc zoologique à la jungle, sans passer par la case réadaptation. Les cours, les rencontres, les sorties, tout s’enchaînait à une allure folle, et moi au milieu je commençais à me sentir de plus en plus déconnectée. A cette époque j’étais persuadée d’être la risée de tout le monde, et d’être épiée dans tous mes faits et gestes. Je commençais même à me méfier de mes propres amis. Je préférais rester coincée chez moi plutôt que d’affronter leur regard accusateur. Plus cette idée m’obsédait, plus je m’isolais.
Pourtant j’étais très entourée au lycée, des copains d’enfance pour la plupart. D’ailleurs, ceux qui osaient encore m’adresser la parole s’inquiétaient : « Tu n’es pas sortie depuis une semaine, ça ne va pas ? », « Pourquoi tu t’obstines à porter les mêmes vêtements tous les jours ? C’est crade ! », « Allez viens, on va te changer les idées ». Rien à faire. Au début je pensais que ça me passerait, qu’il me fallait juste un peu de temps pour m’adapter à tous ces changements. Mais chaque jour je m’enfonçais un peu plus, et petit à petit je tombais dans une routine destructrice : tabac, drogues, dépression.
Faute de mieux, j’ai fini par tout détruire atour de moi. C’est ce qui me permettait de me sentir protégée. Si plus personne ne pouvait m’approcher alors j’étais tranquille et en sécurité.
Un jour, ma meilleure amie – je la remercie encore aujourd’hui pour son courage- m’a pris entre quatre yeux et m’a dit « Écoute moi bien Charlotte, tu peux continuer à briser tout ce qui t’entoure si ça te chante, mais sache qu’il y a des pots que tu ne pourras jamais réparer. Alors s’il te reste une once de lucidité, tu montes dans ma voiture et je te conduis chez un médecin. Tout de suite. ». Je n’ai rien dit et l’ai suivie.
Ce jour-là, les mots que le docteur a posés sur moi étaient sans appel : « Schizophrénie ». J’avais fait un « épisode psychotique », quelque chose « qui peut tomber sur n’importe qui ». « Mais ne vous inquiétez pas, ça se soigne, et peut-être même que ça ne reviendra jamais.». Ça, personne ne l’avait vu venir… Surtout pas moi. Tout était dans ma tête. Cette réalité nauséabonde était en fait le fruit d’une maladie latente qui sommeillait en moi. Depuis combien de temps ?
Démunie et épuisée, incapable de reconstruire tout ce que j’avais détruit, j’ai finalement décidé de faire mes bagages et de partir loin, très loin. Pourvu qu’on ne m’y retrouve pas. Si je fuyais assez vite, peut-être que cette maladie sournoise n’aurait pas le temps de me voir partir et resterait là, bien sagement, loin de moi.