A la Villa Atlantique flottait déjà un air de vacances. Sur la terrasse qui surplombait la côte, la vue était imprenable. L'océan se répandait à perte de vue pour bientôt se confondre avec le ciel.
Sur la table en bois en forme de rose des vents imaginée par son grand-père dont les extrémités étaient aussi pointues que le bout d'un couteau, une pile de livres entassés laissait à peine entrevoir la tignasse d'Edouard, plongé dans un roman de Zola.
Cela faisait maintenant sept ans qu'il venait chaque été dans la maison de ses grands-parents maternels. Pourtant cette année, malgré son apparente désinvolture, le jeune garçon n'était pas détendu comme à son habitude. Et pour cause, dans quinze jours il passerait son bac littéraire au lycée Frédéric Mistral à Avignon.
Il était venu ici pour s'isoler du tumulte de la demeure familiale où, quand ce n'était pas Louise la petite dernière qui braillait, c'était ses jeunes frères jumeaux, Paul et André, qui venaient l'importuner dans sa chambre, foulards vissés sur la tête et épées en bois dans la main, le suppliant de venir jouer à la guerre.
Quand il songeait à l'examen qui l'attendait, il en avait mal au ventre. De son point de vue, l'échec n'était pas envisageable une seule seconde.
Il ne resterait pas une année de plus à endurer le mépris de son père, officier dans la Marine Nationale, qui ne le considérait plus comme son fils depuis qu'il lui avait avoué qu'il n'endosserait pas la même carrière que lui.
Pour Monsieur Rossini dont le père avait lui-même été Ambassadeur dans cette même institution, c'était une offense que de refuser cette place de choix.
Edouard ne reviendrait pas sur sa décision : il irait en Fac de Droit à Aix à la rentrée prochaine. Son avenir était tracé. Il serait avocat.
Mais là, face à l'échéance qui se profilait, c'était le fouillis dans sa tête. Lui, d'habitude si serein et impassible, s'était laissé déstabiliser par l'enjeu.
-Redingote, redingote..., répétait-il en fronçant les sourcils, ce n'est pas la première fois que je croise ce terme...
Il avait beau chercher le sens des mots qui lui étaient méconnus dans le dictionnaire et les reporter méticuleusement dans son carnet à spirales, rien ne s'imprimait dans son esprit distrait et cela commençait à vraiment l'inquiéter.
Le jour J il ne serait pas question de gauchir un terme littéraire, faute de quoi il donnerait raison à son rustre de père.