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Depuis hier, Marcelline tourne en rond ; Pourtant, comme d'habitude elle est entourée des objets qui ne la quittent jamais : un livre, du papier, des crayons. Ce dimanche matin de vacances, elle ne parvient pas à trouver plaisir à ses occupations favorites. Il a fait très beau les jours derniers, mais le temps s'est obscurci hier et ce matin, une fine pluie attriste le paysage vers lequel s'envole son attention. Il s'agit du feuillage de grands arbres car Marcelline est la fille d'un jeune couple vivant au 3ème étage d'un immeuble. C'est la fin de l'été, les derniers jours des vacances familiales, mais Marcelline et ses parents sont restés  dans le petit appartement que sa mère Mathilde, s'évertue à rendre coquet et douillet. Marceline sait qu'elle ne doit pas faire de bruit. Son père Georges est dans la chambre à côté. La fillette n'a pas vu son père en ces derniers jours de vacances.

Il est enfermé et nul ne peut le déranger. Le matin avant le réveil de Marcelline, il prend son café, puis disparait dans la chambre emportant thermos de thé et carafe d'eau. On entend parfois le bruit de papier froissé, on entend des sortes de bruissements sur de la toile. Il arrive que Georges sorte pour vider des pots de liquide de couleur ou très vives ou très pales ou indéfinissables, puis emporte des pots d'eau claire. Il traverse alors le salon sans prononcer un mot, le regard ailleurs, pas rasé, le cheveu en bataille et il s'enferme à nouveau.

Pendant ce temps, la vie continue. Mathilde emmène Marcelline faire quelques petites courses, prépare le repas, et vaque aux occupations ménagères. Elle s'inquiète de voir que Georges ne touche pas au plateau qu'elle lui prépare, mais elle sait que cela peut durer deux jours, huit jours. Il aura parfois prélevé un peu de pain, un peu de bouillon  mais pas plus.

Hier après-midi, cependant, Mathilde et Marcelline ont cru reconnaitre un bruit qui, généralement, précède la fin de l'enfermement. Mais ce bruit, comme celui d'un objet que l'on tire,  n'a pas été suivi de la suite escomptée.

Ce matin, l'objet imaginé semble  à nouveau être tiré, puis on entend clairement une boîte s'ouvrir, puis rien d'autre que de petits chuintements sur  la toile.

En fin de matinée, cette fois on perçoit une sorte de remue-ménage et un son cahotant d'archet sur les cordes du violon. Voilà, ça approche, mais cela ne dure pas longtemps. A plusieurs reprises dans l'après-midi, des notes s'envolent de la pièce voisine, et puis le soir enfin le passage significatif, celui qui dit que le tableau est fini. Alors Georges joue ce passage symbole de sa délivrance, ponctuation finale de cette expression peinte sur toile. Et la dernière note jetée, Georges ouvre grand la porte et s'engouffre dans la salle de bains d'où il ressort « tout neuf ». Marcelline et Mathilde l'ont attendu, elles savaient qu'il avait terminé le tableau car ce passage musical était le signal qu'elles attendaient mais elles respectent le rite. Ensemble ils vont découvrir la toile et Georges rejoue son passage fétiche, un passage du concerto pour violon de Tchaïkovsky et les notes font chanter les couleurs de la toile et les couleurs de la toile transcendent les notes envolées « qui chantent les transports de l'esprit et des sens ».* Depuis cette époque, il arrive  à Marcelline de percevoir des fulgurances de couleurs, des ombres, des lumières si d'aventure elle entend ce passage du concerto, passage qui  résonne encore parfois dans sa tête lorsqu'elle admire un objet, un visage, une silhouette, un paysage, une photographie, un tableau, un arbre, un oiseau  porteur d'une  harmonie qui la touche.

 

* »Correspondances», Les fleurs du mal  Charles BAUDELAIRE

 

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