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La quatrième était verte, vous me direz, pour une fleur, ça n’est pas banal, mais il semblerait qu’elle ait été victime de l’une de ces mutations génétiques soudaines qui apparaissent dans certaines familles, y compris dans les familles de fleurs. Son originalité faisait d’ailleurs toute sa fierté, c’était l’orgueilleuse de service, et savait tirer parti de sa haute taille qui l’avantageait par rapport à ses rivales qu’elle dépassait d’une large tête, dodelinant sans relâche de droite et de gauche, pour voir si la gent botanique masculine continuait à s’intéresser à elle. En vérité, elle n’était guère aimée ni des unes et des autres, qui la traitaient de m’as tu vue, de super pimbêche et de Miss Nombril.

 

Il était un jour, quelque part sur la terre,  sept petites fleurs dans une prairie. La première était une jolie violette, un peu timide, mais très agréable à vivre, elle ne prenait la parole que lorsqu’il était nécessaire, et savait choisir ses mots, toujours justes, toujours modérés, toujours de bon ton. Bref, une très bonne compagne, douce, discrète et fidèle.

 

 

La seconde était indigo. Indigo, pour ceux qui ne le sauraient encore, c’est une couleur qui oscille entre le bleu foncé et le violet, on ne savait trop dire ; quand les promeneurs passaient dans les champs, il n’était pas rare d’entendre ce genre de dialogue : « O regarde , papa, la jolie fleur bleue ! » « Mais non, mon fils, elle n’est pas bleue, elle est mauve ! ». A cause de cela, la petite fleur indigo était un peu perdue, elle n’arrivait à se positionner exactement dans l’existence et faisait ce qu’on appelle des crises d’identité. Elle, elle aurait voulu être d’un bleu lumineux, comme sa voisine immédiate, comme sont certaines fleurs des hautes montagnes, la centaurée, l’agapanthe ou même le bleuet. Et ses relations avec ses voisines s’en ressentaient, elle était irascible et agressive et ses périodes d’agressivité étaient souvent suivies de longs moments de déprime, où elle ne disait mot et rechignait même à s’ouvrir,  comme ses consoeurs, certains  matins à la rosée.

 

 

La troisième, elle, était la musicienne du groupe. Elle était d'un bleu très pur et redressait fièrement la tête en narguant un peu sa voisine, qui  en prenait grand ombrage. Elle était gaie, et se réveillait souvent en chantant un petit air d’opéra, généralement des chansons d’amour, car elle était d’un naturel très « fleur bleue » ! Elle faisait ainsi la joie de ses compagnes qui  se réunissaient régulièrement autour d’elle pour l’entendre égrener ses jolies mélodies avec une voix de soprano lyrique incomparable.

 

 

La cinquième était jaune, c’était un superbe bouton d’or qui avait pris ses quartiers près d’un petit ruisseau, en bordure de pré, et faisait l’admiration de tous les promeneurs. Mais c’était une anxieuse, car bien des fois, elle avait failli être la victime de son trop bel éclat et être cueillie, voire sauvagement arrachée par de joyeux bambins désireux de composer un bouquet pour leur maman. En raison de cela, notre bouton d’or passait de mauvaises nuits, en proie à des cauchemars récurrents où le scénario se déroulait toujours de la même façon et où il finissait pitoyablement dans le sac ou la poche d’un promeneur qui l’y oublierait bien vite une fois rentré chez lui.

 

 

La sixième était orange, et n’avait rien à envier à sa voisine, le bouton d’or, elle était d’une beauté extraordinaire, svelte, élancée, élégante dans son petit fourreau qui moulait magnifiquement ses formes, et suscitait bien des convoitises dans la prairie. Il faut dire que de toutes ces dames, c’était la plus courtisée, qui avait à son actif  une plate-bande, que dis-je un tapis d’amants et avait déjà été demandée six fois en mariage, demandes qu'elle avait  chaque fois déclinée. Toutes les fleurs en étaient  folles de jalousie, à part la violette, qui n’avait , comme chacun sait, pas l’ombre d’un quart de pétale de méchanceté.

 

 

La septième et dernière était la rouge. C’était un énorme pavot mâle qui gonflait son jabot, un peu à la manière d'un dindon en mal d’amour, c’était le chéri de ces dames et chacune s’essayait à qui mieux mieux à attirer ses regards et à tenter de le décider à lui accorder des faveurs beaucoup plus intimes. Mais Monsieur Pavot toujours savait jouer avec leurs nerfs, par ses jeux subtils faits de fausses promesses, de sous-entendus grivois, de regards en coin, de clins - d’oeil enjôleurs et faussement approbateurs, mais jamais ne déclarait sa flamme à aucune de ces dames. Cette situation, qu'il maîtrisait par ailleurs admirablement, lui convenait très bien, ainsi que son surnom très mérité de "Don Juan des prairies".

 

 

Tout ce petit monde fleuri aurait pu évoluer encore longtemps au même rythme si un jour, une bonne fée passant par là, en observant de plus près ce bel assemblage de couleurs, ne s’était aperçue, juste après un gros orage, que nos six fleurettes et leur orgueilleux prétendant semblaient se refléter dans la nue en formant un arc presque parfait ; le phénomène était si saisissant que cette fée, qui avait pouvoir d’observer et de nommer également les choses, leur fit cette déclaration :

 

 

« En vertu des pouvoirs qui me sont conférés, moi la fée Isis, ici présente, saine de corps et d’esprit et jurant de dire la vérité, toute la vérité, je vous déclare membres permanents de la confrérie de l’arc-en-ciel, voici donc les droits et devoirs qui en découlent :

 

 

Article premier : vous n’apparaîtrez que sous certaines conditions, dues aux caprices de la météorologie et à la réfraction du soleil dans les gouttes de pluie.

 

 

Article deux : vous apparaîtrez toujours dans le même ordre, celui où je vous ai découverts aujourd’hui tous les sept dans la prairie. Quiconque dérogera à cet ordre sera renvoyé illico sur la terre et immédiatement remplacé.

 

 

Article trois : vous devrez décrire dans le ciel un arc immuable, et les petites fantaisies botaniques du genre file indienne, saute-mouton, zigzags, arabesques et autres méandres entraîneraient pour vous l’exclusion définitive.

 

 

Article quatre : il vous sera loisible, mais plus rarement, de choisir une doublure pour figurer avec vous dans le ciel et reproduire à l’identique votre forme et vos couleurs.

 

 

Signé, Isis, an de grâce 2007

 

 

Voilà l’histoire incroyable et pourtant authentique de sept petites fleurs des champs dont le destin fut subitement transformé par les aléas d’une heureuse rencontre. Disons que la vie est ainsi faite et qu’il n’est  de HASARD que le nom et la définition qu’on veut bien lui en donner, qu’il n’est , en vérité, de hasard  aussi grand que ne le prétend la tradition populaire, si l’on considère (ce que je crois) que les aléas de notre existence ne sont  jamais  de PURS hasards, mais  sont souvent à la mesure de notre image, et c'est pour cela qu'ils nous ressemblent  un peu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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