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Etait-ce le souvenir de sa fille que Sandrine venait soudain d'évoquer et qui devait avoir le même âge que ce jeune paumé ? Etait-ce parce qu'il avait tant de fois imaginé que peut-être Murielle avait pu suivre le même parcours ? Quoiqu'il en soit, ce gamin le touchait au plus profond de lui-même.

Il l'emmena chez lui. L'appartement, indécent de modernité et de luxe, contrastait avec lui, vieux monsieur bourru au regard éteint qui semblait ne plus rien attendre de la vie. Depuis longtemps déjà, il errait comme un homme ivre mais qui n'a pas bu. Il savait trop bien que c'était le monde qui était ivre, pas lui.

Juan, complètement dépassé par les événements, ne parvenait pas à articuler un seul mot. Il remarqua cependant l'élégance et la finesse d'un intérieur dont il avait toujours rêvé pour Marie. Une rage qu'il associa à la de la jalousie s'empara de lui.

- Qu'est-ce que je fous ici ? Qui êtes-vous ?

- Doucement mon garçon, à l'heure qu'il est, sans moi tu serais au cachot.

- Et alors, vous voulez quoi ? Vous me prenez pour qui ?

M. Lequintrec l'invita à s'asseoir et lui servit un scotch sans même lui demander ce qu'il voulait boire. Juan, qui malgré son passé de délinquant, en était resté au jus d'orange, ne broncha pas et prit le verre.

Le vieil homme vint alors s'asseoir à ses côtés et là, soudain, sans trop savoir pourquoi, Juan se calma, regarda l'homme et voulut savoir. Oui, là, soudain, c'est un peu comme si les anges semblaient revenir.

- Je t'ai reconnu tout de suite Juan, tu as le même regard, la même manière de froncer les sourcils, la même manière de courber le dos, la même attitude face au danger. Je ne pouvais pas les laisser t'embarquer, il ne me l'aurait jamais pardonné, même de là-haut. J'ai déjà perdu ma fille par ma faute. Il m'a fallu dix ans pour que j'accepte que j'étais responsable de sa fuite, mais en te voyant là, par terre, menotté, j'ai compris que c'était ma faute et que je l'avais laissée, tout comme il t'avait laissé, même s'il ne le voulait pas. Juan, essaie de comprendre que nous, parents, nous sommes avant tout des êtres humains, avec nos failles et nos faiblesses. Nous aussi, nous faisons des erreurs et n'en sommes pas toujours conscients.

Juan l'interrompit soudain, il fallait absolument qu'il parle à Marie. Malgré le trouble qu'il ressentait en écoutant l'homme, il demanda :

- il faut absolument que je parle à Marie, qu'elle ne s'inquiète pas, qu'elle sache que tout va bien.

Monsieur Lequintrec lui passa le combiné dans lequel Juan ne pût que laisser un message, c'est vrai, Marie était sûrement à son cours du soir.

Le vieux Monsieur enchaîna :

- Marie, comment va-t-elle ? Elle lui ressemble tellement. J'étais là, tu sais, aux funérailles de ta maman, et puis aussi à celles de ton papa. Je vous regardais de loin. Murielle venait de partir car elle ne supportait plus mon boulot de flic, et moi en vous regardant dans ses moments si cruels de votre vie, j'admirais votre courage tout en me demandant ce que vous alliez devenir. Mais je ne m'inquiétais pas outre mesure, tu avais ses gênes. Depuis tout bébé déjà, tu étais son double. Il était ton idole, ton Dieu, t'en souviens-tu seulement ?

Juan serra les poings, la colère qu'il ressentait encore pour son père lui brûla l'âme. Il lui en voulait d'avoir sombré, d'avoir été faible et de les avoir abandonnés Marie et lui face aux pièges d'un monde encore inconnu pour lui.

- Quelques jours avant sa mort, il est venu me voir, continua le vieil homme. Il était sobre et il réalisait bien tous les dégâts qu'il avait causés dans vos vies, mais ta mère lui manquait trop, il n'avait jamais réussi à retrouver l'envie de vivre après sa disparition et il vous a confié à moi.

Il hésita un instant, regarda par la fenêtre, les yeux tristes et enchaîna :

- Mais qui étais-je pour m'occuper de vous alors que je n'avais même pas réussi à m'occuper de ma propre fille ? Alors, je vous ai suivi de loin. Je voyais bien que tu dérapais et je m'étais juré d'intervenir si vraiment un jour ça tournait mal. Ce jour est arrivé Juan. Rentre chez toi, retrouve ta soeur et reprends une vie normale. Là, je suppose que c'est à elle que tu as pensé lorsqu'on t'as mis à terre et menotté, non ? Alors, réfléchis bien et mesure bien l'enjeu.

Juan, troublé, les larmes aux bords des yeux, se leva, s'approcha de M. Lequintrec et tomba dans ses bras.

- Il m'aimait ? C'est vrai qu'il m'aimait ? demanda-t-il la voix à peine audible

- Il t'aimait plus que tout au monde mon enfant, toi et ta soeur d'ailleurs, mais son chagrin l'a tué. Il savait que tu serais là pour prendre soin de Marie, alors il s'est laissé mourir. Va en paix, lui il est bien là où il est aujourd'hui, il a rejoint ta maman.

Juan se dirigea vers la porte de sortie, tout étourdi encore par ce qui venait de se passer.

- Et reviens me voir à l'occasion... avec Marie.

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