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Lorsqu'elle est entrée dans le grand salon de réception, les conversations se sont rapidement interrompues. Elle tenait serré un magnifique châle indien rebrodé d'or, qui mettait en valeur son teint mat, ses sombres yeux veloutés légèrement en amande et sa longue chevelure noir corbeau qui lui tombait jusqu'aux reins. Les autres femmes, pincées au cœur par la trahison d'une telle beauté sans artifices, se sentaient flouées de leurs parures, leurs bijoux, leur classe et se regroupaient insensiblement, en un réflexe atavique de troupeau.

 

Elle semblait lointaine, gracieuse statuette figée en pleine lumière, offerte à l'admiration de tous. Un léger frisson la saisit, son regard erra sur l'assistance pour venir se poser sur la grande cheminée illuminée par une flambée dont elle croyait déjà sentir la chaleur pénétrer son corps transi. Glissant à travers la pièce, uniquement préoccupée par l'âtre qui l'attirait de tous ses feux, elle négligeait  les ébauches de vachardises qui se murmuraient à son passage :

« - Alors c'est elle ? Mon dieu, mais c'est une indigène… » « - Il a toujours été anticonformiste, mais là… tout de même… » Arrivée près de la cheminée, d'un geste élégant, elle quitta son châle qu'elle posa sur le dos d'un grand fauteuil qui lui tendait les bras. Ils virent tous la minerve qu'elle portait autour du cou, aussi fièrement que les femmes girafes leurs colliers ou Saturne son anneau. Elle s'est assise légèrement au bord du fauteuil, tendant ses mains vers les flammes, en geste d'offrande.

 

Des applaudissements ont retenti : le consul venait d'entrer.

Souriant à son habitude, ses yeux frôlaient les femmes, saluaient les hommes, cherchaient. Il la vit, digne silhouette assise, esseulée. Son cœur débordait d'amour : elle était son réveil, la renaissance qu'il appelait de tous ses vœux dans une existence qu'il souhaitait purger des plaisirs faisandés dont il avait plus que largement usé. Dégoûté de lui, désabusé de son métier, indifférent aux autres, il cachait soigneusement sous un vernis mondain irréprochable les blessures d'une vie cabossée. Et, alors qu'il n'attendait plus rien de la vie, ils s'étaient rencontrés de plein fouet : elle quittait en courant le temple dans lequel elle faisait ses dévotions, lui faisait des photos et a interrompu brutalement sa course par un geste malencontreux du bras. Le choc l'avait renversée et elle avait poussé un cri qui lui avait transpercé le cœur. Tous sens annihilés, il s'était précipité, l'avait prise dans ses bras pour la secourir car elle gémissait en se tenant le cou.

 

Depuis, il ne vivait que pour elle, ne voyait qu'elle, comme à cet instant où, enfin, il allait la rejoindre, sa déesse, son phénix, son amour.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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