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Le jour commence à poindre. Nous arrivons. Elle, on ne la distingue pas. Nous la sentons. Elle envahit nos narines. Nous sommes entiers dans sa flagrance puisque le jour n'est point encore assez vaillant pour révéler ses formes. Nous baignons dans son odeur multiple. Elle se nomme Alain Blanchard. Le nom d'une variété de rose. Le guide nous l'apprend. Nous humons la rose dans la pénombre du jour. C'est le nom aussi d'un arbalétrier décapité par les anglais, il y a longtemps. Nous humons le courage de l'arbalétrier. Nous sommes dans le parfum sudoripare de la naissance d'une chose ou d'une histoire. Dans les coins traînent des fumets d'urine, des relents de poubelles et l'haleine fétide des caniveaux. C'est l'aube. Nous comprenons que le réveil d'une ville n'est jamais salubre. Trop de traces du passé, de la veille, des efforts matriciels pour mettre au monde. Nous demandons au guide quel sera le nom de l'enfant né à cet endroit. Sa réponse est fumeuse.

 

Nous poursuivons notre périple. Le soleil rougit derrière les toits. Mais nous avons trop faim. Notre organisme réclame. On se fiche de la beauté du soleil levant. Nous voulons nous restaurer, on crie au guide. Mais avant il faut la gravir, elle. Une nourriture ça se mérite. Nous soufflons comme des phoques. Enfin nous apercevons une enseigne. Nous faisons bloc à son entrée. Nos papilles sont en alerte. Sa devanture est prometteuse. On se goinfre d'elle évidement. Croissants, chocolatines, café, cacao, brioches, tartines. Nous restons en terrasse et jouissons de sa perspective. Notre palais se réchauffe de son goût. Il y a des espaces qui ne sont que saveurs. D'autres pâtisseries jalonnent l'artère. Le Champ des Oiseaux, c'est le nom de celle-ci. L'enfance gourmande s'y déploie en ce début de matinée. Le guide refuse toujours de nous dire le nom du garnement qui réside là. Nous emportons quantité de provisions savoureuses dans nos poches, pour la route.

 

Midi carillonne au clocher de la cathédrale. Nous sommes plein de vitalité. Nous marchons, nous courrons, nous enlaçons le fût des arbres. La poussière recouvre nos chaussures. Nous mouillons notre doigt pour repérer le sens du vent qui déboule en elle, entre ses bords larges. Elle s'appelle Verdun. Elle n'est pas sinistre. De belles façades lui font honneur. Elle est périphérique. Nous avons de la place, mais on se touche quand même pour ne pas nous disperser. Nous touchons aussi presque le ciel éclatant et très bleu. A nos mains le soleil enfile des mitaines de chaleur. La pierre des maisons est douce. Nous ne touchons pas au but puisque le guide nous rappelle que nous ne sommes qu'à l'adolescence du parcours. L'adolescent ici doit être canaille car sa belle peau dorée frisonne à notre contact. Le guide pourrait nous le décrire mais la conversation prend d'autres chemins. Nous suivons le guide. Des papillons Sphinx nous caressent au passage.

 

Si nous avions connu la suite nous serions restés à embrasser les arbres de Verdun. La suite est interminable. Elle ressemble à un entrelacs de voies. Elle part sans tous les sens. Nous ne comprenons pas. Pourtant la journée est à son apogée. Tout est visible. Cela commence par Clichy, puis les Abbesses, puis Vauquelin, puis Gaston Monmousseau, puis Flandre, puis Cassou, puis la course s'efface avec le temps changeant. Nous regardons de tous nos yeux. Nous essayons de suivre le héros, mais le guide nous apprend que même lui, il endosse des noms d'emprunt.  Comment s'y reconnaître ? Pourtant les paysages diversifiés se montrent à nos regards ; cabarets aux vitrines lumineuses, grilles et jardins des maisonnettes, immeubles au porche de style, usines avec cheminées noires, balcons et baies aux stores vénitiens, villas avec chien méchant. Plus le spectacle des choses est nette plus le message est opaque. Celui qui est adulte, mûr, responsable, nous en perdons paradoxalement le profil. Trop de lieux, trop de zones pour une rétine qui scrute minutieusement. Nous troquons nos lunettes de soleil contre jumelles ou autres binocles de précision. Le guide voudrait-il maintenant nous dresser le portrait de l'habitant de cette histoire, qu'il devrait renoncer, faute de signes tangibles. Alors cette rue qui s'ouvre devant nous, dans quel sens faut-il la prendre ? demande, narquois, l'un d'entre nous.

 

Avec la lumière qui baisse, elle nous dirige péniblement. Elle nous éloigne des quartiers tapageurs du centre. Elle doit s'intituler d'un nom, avec un panneau qui nous rassurerait. Mais l'obscurité est épaisse. La journée se termine. Nous ne pouvons nous fier qu'à nos oreilles. Le moindre bruit est une indication. Une mobylette qui passe. Un chien qui aboie. Un poste téléviseur qu'on entend derrière une cloison, un portail grinçant qu'on referme, un taxi qui repart. La nuit nous enveloppe. Et chaque son isolé par une gangue de silence démontre que l'existence est en veilleuse. Quelqu'un marche quelque part. On l'entend sans jamais le voir. Son pas lent est comme celui d'un vieillard. Il claudique. Sa canne frappe autour de lui tout ce qui l'embarrasse. Notre curiosité est malvenue. Nous sommes des visiteurs en groupe avides de l'individuel. Une ombre respire et voilà que nous guettons son souffle rauque pour annoncer la fin de la visite. Est-il encore vivant le bonhomme, dans les ruelles sombres de sa fin de vie ? Le guide a disparu. Et nous sommes livrés aux territoires de l'inconnu.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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