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Trois robustes femmes soit trois paires de bras et donc six larges mains, qui l'agrippent de son fauteuil roulant pour l'asseoir tremblante, sur le bord du lit. Puis l'allonger, la basculer sur le côté pour la déshabiller.

   Depuis quelques jours, lorsqu'arrive le redoutable moment de la toilette, la vielle dame ferme les yeux pour que l'instant s'estompe plus facilement. Il faut juste que son esprit s'égare momentanément, pour trouver cette constance qui lui permet de fuir ce triste endroit solitaire.

   Dans la hâte les mains la tournent et la retournent, les doigts pincent un peu en la saisissant et les ongles éraflent sa fine peau fragilisée. Trop tard, une écorchure suinte et tombent des gouttes de sang sur le drap blanc.

   Fuse alors une sérénade de reproches et d'ordres adressé à ce corps trop gros, trop flasque, trop lourd, encore trop---en vie.

   Le corps entièrement dénudé, un frisson au coeur apeuré. Une main gantée de rudesse lave, essuie, crème l'intimité violée. C'est précisément à cette seconde que la dame âgée glisse son esprit sur le canevas des souvenirs.

   " Hautes et majestueuses montagnes de son enfance. Scintillant soleil reflétant dans les neiges éternelles. Vifs écureuils sautant sur les fagots desséchés. Apaisant chant des oiseaux dans le silence montagnard. Mais surtout, les yeux brillant de tendresse de ses parents tant aimés."

   Toutes ces petites friandises de la vie dessinent un sourire sucré, un instant, sur cette bouche fermée qui ne parle plus, à quoi bon quand il ni a plus d'écoute.

   Une voix s'élève, une main se lève, une menace plane au dessus des cheveux blancs. L'auxiliaire de vie fatiguée, pressée, va t-elle encore déraper?

   Non!

   Brusquement la porte de la chambre s'ouvre, c'est un agent de service qui apporte le diner. Hâtivement elle dépose le plateau sur la table roulante.

   Vite! les six mains s'agitent fixant la large culotte ouatée qui retient les fuites nocturnes. Ha! le modernisme qui impose la dépendance pas forcément nécessaire mais véritablement dégradante.

Mais combien plus commode pour la veilleuse de nuit, qui n'aura pas le temps de s'occuper de tout les résidents. Car elle est seule pour soixante personnes et l'ascenseur est en panne!

   Vite! la chemise de nuit de la vieille dame souillée du café du petit déjeuner de la veille. Pas le temps ou l'envie de prendre du linge propre. Pareil pour les bas de contention tachés et malodorants.

Coiffer? non! ce n'est pas la peine pour ce reste de cheveux.

   Assise dans son lit, le bras pansé de la malveillance humaine.

Glisser la table roulante, avancer le plateau, hélas repas déjà froid, mais qui voudrait de cette mixture grisâtre?

   La porte claque, puis le silence.

Tient elles ont oublié d'allumer le téléviseur, sur n'importe quelle chaine,à cet âge là même le choix est supprimé.

   Trop légère escarcelle pour permettre à la dame de partir de ce lamentable endroit, l'enfer, heu---non, la maison de retraite.

    Peu à peu l'obscurité envahit la chambre. Soudain, passe un étrange  scintillement devant les paupières restées closes. Un sentiment de curiosité plisse le front. Les yeux clignent laissant glisser des perles d'eau, les larmes d'une personne âgée, c'est tellement précieux.

   Petit torrent de désespoir coule sur les joues, le long du cou jusqu'au coeur épuisé d'indifférence, de maltraitance. Mais son regard bleu, soudain, s'émerveille d'un petit sapin blanc en fibres optiques qui clignote du bleu au rose, puis au jaune et passe au vert et recommence.

   Doit-elle cette magique apparition à quelques lutins de passage?

comme dans les contes de sa tendre enfance.

   La dame âgée sourit à nouveau, mais dans ses yeux mouillés brille un éclat serein.

   "- La petite est donc revenue et a déposé ce présent au solstice hivernal. La petite ne m'a pas oubliée! Sans doute reviendra t-elle bientôt. Il faut rester en vie, il faut reprendre des forces, pour la petite!"

    Sa main prend la cuillère et plonge doucement dans l'épais mélange visqueux qu'elle porte à sa bouche. Une grimace.

   "- Pour la petite, pour nos discutions interminables, nos riants secrets, nos rangements de n'importe quoi, pour le temps qui passe agréablement, ensemble! Alors plus de grève de la faim. Vivre encore, un peu."

   "' Je viens, Elsa, attendez moi---"

 

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