Ses longues jambes musclées la prédestinaient à la danse.
Noémie comprit très tôt qu’elle adorait danser.
Déjà, dans ses premiers instants de vie mouvementée, béate sur le doux édredon recouvrant le moelleux matelas de son berceau, elle dansait ses toutes premières gigues. C’est certain qu’elle n’en avait pas conscience. Mais son inconscient était à l’écoute de chacune de ses sensations en réaction à l’infiltration de l’énergie de vie dans toutes ses fibres cellulaires. Elle gigotait comme un poisson heureux d’être libre de s'agiter dans l’eau claire et cristalline. Et les autres savaient très certainement. Ils n’avaient qu’elle à contempler en ce jour merveilleux. Quel cadeau de dimanche de Pâques. Un joli petit bout de chou qui gigote, clignote des yeux et se suce le pouce en alternance avec les coups de pieds dans le vide apparent de l’air.
Pour sa tendre grand-mère, le contraire aurait été très surprenant. Elle en avait une conviction intime. Comme un profond désir avide qui s’était transformé en une certitude absolue. Cette croyance s’était développée à la vitesse de l’éclair zigzaguant avec une étonnante brillance dans le firmament agité de sa future danseuse étoile. Cette radieuse vieille dame croyait mordicus que les goûts et aptitudes innées se transmettent toujours de génération en génération. Elle avait elle-même dans ses jeunes années développé un certain talent pour la danse classique. Elle ne fut donc pas surprise ni étonnée lorsqu’elle réalisa que sa petite chérie Noémie possédait un talent plus qu’évident pour tout ce qui concernait le mouvement en général, dont bien évidemment celui de l’art sacré de la danse.
Entre les grosses branches de l’érable argenté, le vent s’invite en tourbillons d’arabesques faisant sursauter le feuillage dans les arbres. Il tremble. S’agite fébrile. Se détend en un semblant de repos. Se reprend de plus belle en titillant ces magnifiques feuilles vertes aux fortes nervures. Mouvements latéraux du vent. Avancée verticale et délestage vers le bas. C’est un retour au neutre. Combat princier entre le chaud et le froid. C’est le début du printemps. C’est le doux temps hâtif. C’est le mois d’avril. Le treizième jour du mois par une aurore ensoleillée. Les rayons dardent d’une chaleur renouvelée les bas-côtés des chemins et les narcisses osent pointer le bout du nez. Ce fut ce jour-là que Noémie en profita pour célébrer sa venue au monde en déroutant tous les préparatifs si méticuleux de sa maman chérie et surtout de celle de la sage-femme si expérimentée du petit village de Rochebaucourt.
Presque un retour aux sources. Marche arrière afin de mieux comprendre maintenant et planifier demain dans l’espoir de voir évoluer la magie des changements par les marcheurs du temps en perpétuelle transformation.
Et le souvenir du berceau dans lequel Noémie se berce de bonheur dans le regard en mouvements de la grand-mère et maman pour toujours fait monter des larmes. Torrent de joie qui émeut. Ruisseau de peines qui s’écoulent en froides gouttelettes afin de soulager du trop-plein de la mémoire d’émotions refoulées. Filets d’espoirs qu’empruntent les pleurs des craintes d’un avenir incertain. Dansera-t-elle ou pas en petits pas de bout de bonheur qui explose en étincelles de joie ? Aura-t-elle la folie du rythme de sa mamie dans le corps ? Ses jambes puissantes offriront-elles l’acharnement d’un travail en quête de la perfection des mouvements synchronisés de la danse moderne. Hanche ouverte vers l’avenir en marche vers la gloire possible de devenir la première danseuse étoile. Seul l’avenir, qui hélas ! avance à grands pas, le dira. Pour l’instant il est bon de vivre le moment présent. Pointer, cambrer. Ouvrir la cage et inspirer le souffle vital. Monter le diaphragme. Monter sur les pointes. Tourner jusqu’à l’épuisant étourdissement. Serrer les dents. Pousser la langue au palais.
Mais déjà Anna anticipe les premiers pas de danse. Elle aime s’imaginer sa petite-fille Noémie dans ses froufrous et pantoufles de verre qui tourbillonnent tout autour d’elle.
Petits pieds pointés
Bras levés
Mais tendues
Regard au loin
Avec soin
Elle compte les pas...
Un à un
Elle les apprivoise
De tout son frêle corps
Déjà élancé
Tout en grâce musclée
Elle tournoie
Se ploie comme là branche
De l’érable tout juste planté
Au jour de sa naissance
Sans doute en reconnaissance
De la bonté
Et de la beauté
De l’immensité
Des largesses
De la vie...
Petite Noémie en liesse
Tout juste coiffée
De la plus belle des tresses
Fait des ribambelles
Elle vole presque
Virevolte
S’envole presque
Et reviens sur ses pas
Sans jamais se lasser
Comme si elle courait
Légère sur le sable fin
Et que l’empreinte de ses pas
Se dessinait comme des gestes
Que l’on déploie
Vers au-delà de sois…
Sans même faire d’effort
Sans même y penser
Fière elle avance
Avant que ne s’achève
Le périple du voyageur
De l’enfance à l’âge adulte
Des rêves et des espoirs
De l’aube à tard le soir
De l’arrivée au grand départ...
Obnubilée qu’elle deviendrait
De la réussite parfaite
Du grand écart
Elle veut devenir
Comme la jolie ballerine
En tutu jauni
Dans une pause figée
Dans le vieux cadre brisé
Sur le vieux bureau usé
À la patine d’or
immobile dans l’attente
Des ovations tant espérées...